Fou de littérature, c'est en dingue de vélo que Jean-Acier Danès (son prénom ne l'y invite-t-il pas ?) rend visite, à sa manière, à ses écrivains et son pays préférés. Suivant Hemingway selon lequel c'est en pédalant un pays que l'on apprend le mieux ses courbes, le jeune cyclauteur réalise là un voyage initiatique au pays et à ses oeuvres littéraires.

On le suit sur les pas de Valéry (Sète), Rousseau (Les Charmettes), Hugo (Paris), Yourcenar (Flandres), Verne (Amiens), Vialatte (Ambert), Proust (Iliers-Combray), Balzac (Tours, Saché), Stevenson (Cévennes)...

Et s'il est souvent déçu par les maisons d'écrivain, il ne l'est jamais par les routes, les chemins, les boulangeries des villages (quand il en reste) et les nuits à la belle étoile dans les profonds fossés ou dans les abris des cimetières ruraux. La plupart du temps en effet, l'aventure ne commence-t-elle pas au coin de la rue, au bistrot du village ou au droit d'une courbe de niveau récalcitrante ?

Malgré le régime marathonien qu'il s'impose, capable d'avaler jusqu'à 15h et 300 kilomètres en une journée, rivé à la potence de son coursier ailé, Jean-Acier se laisse aller à des causeries et à des réminiscences littéraires avec Causette. Il a même gravé sur sa potence ce quatrain de Céline : Notre vie est un voyage/Dans l'hiver et dans la nuit/Nous cherchons notre passage/Dans le ciel où rien ne luit (page 139).

Extraits. A l'échelle d'une vie, comme un marin déchiffre le vent sur les vagues, la bicyclette permet à l'aventurier d'arpenter les montagnes à la recherche de soi-même face aux difficultés. De là naissent les plus solides fraternités. (page 20) (…) Comme d'autres, j'ai longtemps craint de m'égarer. Puis je m'y suis fait, j'ai pris goût à cela, tout en limitant mes erreurs à force de revenir en arrière. Mais les lieux que je ne parviens pas à restituer n'ont pas été qu'un retour en arrière. Ils m'ont révélé, à leur manière, le monde autour de moi, et c'est en me perdant que j'ai le plus appris : à me faire confiance ou à être humble (page 94). Vivre, c'est peut-être cela : déambuler dans les couloirs d'une bibliothèque. A travers l'errance ourlée de fatigue et le plaisir nocturne, la rencontre et l'apprentissage permanents, j'ai cheminé sur une voie sans fin. Dans des régions dont tout est ignoré du citadin, derrière des pionniers dont il se sent indigne. Il suffisait de céder à l'envie de partir, d'emporter hors les murs quelques livres (…) Vivre, c'est peut-être cela : rien qu'un moment, rien qu'un passage, rien qu'un temps que l'on accorde à ceux que l'on aime et que l'on apprend à aimer (p. 211-212).

On pourra regretter le surcroît de citations littéraires du khâgneux et le côté parfois balourd de certaines expressions. Mais la générosité, l'esprit libre et aventurier, l'amour immodéré des auteurs et d'une autre France font plaisir à voir. Ce n'est après tout que le premier roman-carnet de voyage d'un vélauteur qui n'a que vingt ans et dont on attend les prochaines vélodyssées littéraires.

Ce billet a été corrigé le 20 octobre puis le 4 novembre 2019