Extraits

Que pensez-vous de cette reprise de l’école obligatoire, pour un délai aussi court ?

Jusqu’ici, peu d’enfants de familles pauvres sont retournés en classe. Donc oui, le retour à l’école obligatoire est très important, même pour deux semaines. Une coupure totale pendant six mois aurait été une catastrophe pour ces enfants. Mais il faut s’interroger : pourquoi ces familles n’avaient pas remis leurs enfants à l’école ? Elles avaient peur. De la maladie, c’est vrai. Mais pas que. Beaucoup avaient aussi la crainte d’être jugés.

Vous alertez aussi sur une montée en flèche possible des «orientations subies»…

Oui, nous avons des craintes sur ce qui se joue en ce moment dans certains collèges et écoles. Avec cette période de confinement et l’entre-deux que nous vivons aujourd’hui, il y a toutes les raisons de penser que, plus que jamais, des parents se retrouvent écartés des processus de décision pour l’avenir de leurs enfants. Que ce soit pour un redoublement ou une orientation. Déjà, en temps normal, c’est souvent le cas : les élèves et les parents sont très peu écoutés lors des conseils de classe. Mais en ce moment, c’est encore plus marqué. Dans certains collèges, les conseils de classe ne se sont même pas tenus. Le sort des élèves a été tranché à huis clos entre le professeur principal et le chef d’établissement. Aucun débat, aucune délibération. Les parents d’élèves l’apprennent par téléphone, une fois le destin scellé.

On peut imaginer que les enseignants prennent les meilleures décisions pour leurs élèves, non ?

C’est une réalité factuelle, établie statistiquement. Prenez deux élèves avec des bulletins scolaires similaires : celui issu d’une famille pauvre sera orienté en filière professionnelle, et l’autre non. Il est fondamental pour l’élève – et tous les travaux de chercheurs le montrent – de sentir que l’institution scolaire et la famille avancent dans le même sens. A défaut, l’enfant ou l’adolescent se retrouve pris dans un conflit de loyauté entre la famille et l’école. Ce qui crée des blocages pour apprendre, extrêmement difficiles à dépasser. Des enfants ne s’autorisent pas à apprendre car ils ressentent que l’école rejette leurs parents. Et craignent inconsciemment qu’en apprenant, ils se coupent de leur milieu d’origine. Il faut que chaque élève sente que sa famille et ses professeurs partagent la même ambition pour lui. C’est en ce sens que la coéducation est essentielle. Et nous en sommes loin.

Le confinement n’a-t-il pas, d’une certaine façon, rapproché parents et professeurs, en les obligeant à communiquer ?

C’est en effet l’un des points positifs de toute cette période de confinement : les professeurs ont été amenés à échanger avec les parents et on peut espérer qu’ils aient pris conscience qu’ils avaient besoin des familles. J’espère que cela permettra d’avancer sur la coéducation. Le système éducatif actuel ne s’appuie pas suffisamment sur les savoirs appris dans la sphère familiale, pour construire les compétences scolaires. Il faut sortir de l’école sanctuaire.