L'évolution de la fonction d'orientation, par Robert Ballion (CIO 83)
Par Jacques Vauloup le dimanche 24 mai 2020, 03:50 - S'orienter - Devenir - Lien permanent
De 1983 à 1986, 58 Centres d'information et d'orientation (CIO) participèrent à une recherche-action sur «Le transfert des acquis du dispositif 16-18 ans au système de formation initiale».
En 1986, le sociologue Robert Ballion (CNRS-Polytechnique) est chargé par le ministère de l'éducation nationale de produire un rapport de synthèse sur ce projet-pilote européen et d'en suivre la dissémination des résultats
. C'est ce rapport devenu introuvable, qu'étant donné son grand intérêt, je vous présente ici et en annexes.On n'imagine pas aujourd'hui quels furent l'implication et le haut niveau d'engagement des services d'orientation dans ce qui demeure la seule recherche-action ayant été engagée sur la question des CIO.
Partout, une prise de conscience s'était effectuée qu'avec la montée du chômage des jeunes d'un côté et l'explosion lycéenne à venir (L'objectif 80% niveau Bac apparaît pour la première fois en 1983 dans le rapport Prost, Les lycéens et leurs études au seuil du XXè siècle), un changement s'imposait dans les pratiques d'orientation en établissement scolaire et en CIO. Mais lequel ? D'entrée, le sociologue avisé Robert Ballion, qui avait en 1982, avec l'expression les consommateurs d'école (1982)
, brillamment résumé les stratégies scolaires consuméristes des familles, plante le décor des CIO :
Le service d'orientation dépend de l'Éducation nationale (page 6), mais sa position organisationnelle au sein de cette institution est celle d'un service parallèle dont l'intégration au fonctionnement de l'appareil éducatif n'est pas strictement précisée par la réglementation ou les exigences fonctionnelles. Il est censé «répondre aux besoins», si tant est que les besoins s'expriment et que l'agent sollicité, le conseiller d'orientation, choisisse de répondre à un besoin plutôt qu'à un autre. Le conseiller est en position de prestataire de services à l'égard des établissements scolaires et des élèves. Ce statut d'auxiliaire est chaque fois souligné dans les textes réglementant le fonctionnement des instances décisionnelles de l'établissement − conseil de classe, d'établissement − par la formule "le conseil peut faire appel au conseiller d'orientation".
Va-t-on travailler préférentiellement auprès des élèves des classes charnières au détriment d'une action d'orientation continue ? (page 10) Va-t-on privilégier les élèves en difficulté négligeant ainsi la population scolaire générale ? Va-t-on accepter de s'investir dans les actions diverses d'insertion et de formation menées en dehors de l'Éducation nationale, privant ainsi l'institution d'une part du temps qu'on pourrait lui consacrer ? Va-t-on traiter toutes les demandes présentées par le public qui s'adresse au centre ou choisira-t-on de les filtrer ? Va-t-on concevoir l'orientation comme objet d'éducation nécessitant l'apport d'une formation beaucoup plus coûteuse en temps que la délivrance d'informations ? Va-t-on privilégier la relation individuelle de conseil ou le traitement collectif peu souvent réalisable sous une forme efficace mais plus économique ?
SOMMAIRE
CHAPITRE I. LA FONCTION D'ORIENTATION
I.1. La recherche d'identité
I.11. La marginalité/ I.12. Les doutes sur la validité d'une pratique/ I. 13. L'image sociale des conseillers d'orientation
I.2. La demande sociale d'orientation
I.21. Complexification de l'acte d'orientation/ I.22. L'élargissement de la demande d'orientation et son changement de nature
CHAPITRE II. LA PRATIQUE DE L'ORIENTATION
II.1. Se cantonner dans l'école ou en sortir ?
II.11. Rester dans le système éducatif/ II.12. La prise de distance à l'égard de l'école/ II.13. Les implications quant aux caractéristiques du CIO en tant qu'organisation
II.2. Les dimensions de la fonction d'orientation
II.21. L'information/ II.22. La formation/ II.23. L'évaluation
II.3. Les nouvelles formes d'intervention
II.31. Les changements technologiques/ II.32. Dégager du temps !/ II.33. L'orientation n'est plus ce qu'elle était
En conclusion, Robert Ballion synthétise en quatre questions les principaux points pour lesquels les opinions et les pratiques des agents divergent :
■ Doit-on maintenir, autant que faire se peut, l'activité des conseillers d'orientation dans le cadre du système scolaire, ou doit-on l'élargir à des publics externes, en particulier à celui des jeunes pris en charge dans les dispositifs d'insertion ?
■ Doit-on, au sein du système scolaire, jouer la carte de l'intégration scolaire de l'élève en oeuvrant pour une pédagogie de la réussite, ou doit-on réserver son activité à des formes d'intervention qui restent dans le cadre des actions d'intervention et se situent massivement au niveau des classes-paliers ?
■ Doit-on aider l'institution scolaire à intégrer la fonction d'orientation en en faisant une des dimensions de la pratique professionnelle de ses agents − enseignants, conseiller d'éducation, responsable du CDI, chef d'établissement −, ou doit-on s'efforcer de garder à cette fonction sa spécificité et, corrélativement, de confier sa prise en charge à un agent spécialisé, le conseiller d'orientation ?
■ Doit-on continuer à poser que l'objet/le sujet de l'intervention est le jeune, ou celui qui directement le prend en charge : former les formateurs ?
Et, page 57 : En tant qu'organisation, le CIO soulève un certain nombre de problèmes, le premier étant son existence en tant qu'organisation ! Jusqu'à maintenant, malgré ses activités propres et la reconnaissance externe de son existence, le CIO était avant tout un cadre spatial et réglementaire juxtaposant les activités d'un certain nombre de personnes. L'accroissement de la demande d'orientation, la nécessité que ressentent tous ses agents de repenser leurs modes d'intervention, le développement d'une vie locale à laquelle le CIO est convié de participer font que s'impose l'idée d'une conception plus intégrative du CIO appelé à devenir un véritable acteur collectif. Pour ce faire, se présente au premier chef l'exigence de l'élaboration d'un projet de centre et, plus malaisément abordée, une nouvelle définition du rôle et du statut de directeur.
Trente-cinq ans après, les constats avisés et les quatre questions de synthèse posées lucidement et sans complaisance par Robert Ballion n'ont pas pris une ride.
Le texte complet du rapport Ballion est proposé en annexes
Commentaires
Merci Jacques pour la mise à disposition de ce texte important pour nos services, qui à l'époque avait été assez mal reçu par ceux-ci. Il avait été perçu comme une critique des CIO et des personnels. Si je me rappelle bien, la publication du rapport intervient alors que le PC se désengage des Missions locales.
Merci Bernard. Robert Ballion était un sociologue libre, avisé, impliqué et respectueux des terrains qu'il investissait : carte et dérogation scolaire, consumérisme scolaire parental, orientation. On attend des sociologues neufs qui, aujourd'hui, investiraient ce champ.
Bonjour,
Un grand merci pour votre travail. Je suis en train de lire un article de Jean-Yves Rochex qui évoque Robert Ballion. En effet, selon l'article de Jean-Yves Rochex, Ballion dans son rapport énonce l'idée que les élèves qui ont de bons résultats dans le secondaire n'ont pas besoin de projet pour réussir. En effet, quand on s'oriente à l'université, en classe prépa, en école d'ingé, à sciences-po on a idée que ce sont les savoirs et les rencontres qui permettront de s'orienter et non nécessairement de partir d'un projet "métier". Aujourd'hui notamment via Parcoursup, j'ai idée qu'on demande aux élèves de : savoirs. Pourtant ce savoir est impossible. On pourra me donner des tas d'arguments, je pense que même quand on fait le même métier qu'un autre, il reste unique dans la manière de le vivre et de l'appréhender. Et parfois ne pas tout savoir permet de s'orienter. Les discours d'hier sont en fait d'une modernité pour moi éclairante. Merci beaucoup pour vos recherches et de nous les partager.
Cordialement,
Florence David