L'inachèvement de l'homme (Lapassade, 1924-2008)

En 1997, un quart de siècle après la décennie 1964-1974 qui a vu éclore une jeunesse révoltée et utopique, prête à braver les codes d'une société encalaminée, Georges Lapassade s'interroge non sans une certaine anxiété : la notion d'adulte en temps qu'homme achevé ne serait-elle pas illusoire tant l'âge d'homme n'est jamais inachevé car inachevable ?

Les conditions réelles, existentielles d'entrée dans la vie devenant de plus en plus difficiles, l'enfance et l'adolescence sont devenues interminables. N'est-ce pas le propre de l'homme que cette inachevabilité, exacerbée dans un monde déboussolé sur ses fondements après un siècle de catastrophes mondiales monstrueuses ? 

Extrait. L'homme est totalisation en cours sans jamais être totalité achevée. Il n'existe pas de conduites réfléchies, individuelles ou groupales, entièrement actualisées. Il n'est pas d'individu, pas de groupe humain qui puisse être dit véritablement adulte, à moins de nommer adulte la capacité de changer et l'acceptation du changement. (p. 296)

Ce qui change un destin (Ferro, 1924-2021)

De la même génération que Lapassade, né juste après la Der de Der et ayant vécu de plein fouet la Seconde en pleine adolescence, Marc Ferro a raconté récemment, à près de 100 ans, les moments de bascule, de kairos où la vie prend un tournant décisif. 

Sur le chemin du Danemark en 1947, il raconte sa panne de voiture dans le Bade-Wurtemberg au lendemain de la guerre, et sa rencontre, dans une ville en ruines, avec un garçon de 11 ans qui avait réparé son auto. 

− Où sont tes parents ?

− Gestorben (morts). 

Les enfants des guerres, les enfants de la pauvreté ont une place importante dans son ouvrage. 

Extrait. Le père de Charles Dickens exilé pour dette, sa mère expulsée de son petit appartement avec ses quatre enfants accepte que Charles, 11 ans, travaille dans une manufacture pour lui ramener quelques sous pour vivre. Il y colle des étiquettes sur des boîtes de cirage.  Le petit Charles était installé sur un tabouret sans dossier pour qu'il ne s'endorme pas, obligé de travailler jusqu'à seize heures par jour. Ainsi, toutes les histoires que Dickens a racontées dans Oliver Twist (1839), Le Conte de Noël (1843) ou David Copperfield (1850), c'est sa vraie vie qui les inspira. (p. 22) 

Comme l'enfance ou l'adolescence, l'âge adulte ne serait-il au fond rien d'autre qu'inachèvement, changement, amorce, esquisse, bégaiement, ébauche, imperfection, commencement ? 

Ferro-Marc-historien-1924-2021.jpgMarc Ferro est mort le 21 avril 2021.

1944 : résistant dans le Vercors. 1969 : directeur d'études à l'EPHE, codirection des Annales. 

1989-2001 : Histoire parallèle sur la Sept puis sur Arte. Marc Ferro aura été pionnier dans l'étude des rapports entre cinéma  et histoire.