La sirène d'Isé (Extraits)

− Avancez donc voir par là ! s'exclame-t-il. C'est incroyable, on croirait...

Intrigués, d'autres hommes viennent grossir l'assistance. Bientôt, une petite foule silencieuse entoure le phénomène. Personne n'ose transgresser d'un pas le cercle qui les en sépare. Devant eux, allongée sur le côté, un bras par-dessus la tête, les hanches prises jusqu'à l'extrémité bifide du corps dans un fourreau d'algues brunes, une jeune femme gît, sans connaissance, sur le sable mouillé. (...) Une pipe éteinte au coin des lèvres, l'un des cueilleurs d'étrilles ne peut taire son sentiment.

− Cette fois, grommelle-t-il sans desserrer les dents, voilà que la tempête nous rejette une sirène...

− Une sirène noire ! ajoute son compagnon de pêche.

− C'est un drôle de signe, dit un troisième, troublé dans son esprit autant que dans sa chair. Qu'allons-nous faire ?

− Surtout ne toucher à rien, déclare le père du lutin. Il faut appeler la police...

Mais l'enfant n'y tenant plus sautille jusqu'à la créature et s'accroupit s'un air facétieux.

− Madame, madame ! s'étonne-t-il. Tu n'as pas froid toute nue ?

La sirène a ouvert un oeil puis l'autre. Un franc sourire découvre les perles fines de ses dents. Elle s'appuie sur un coude et, déjà complice d'un petit garçon, elle considère sans vraie surprise son public blême et chenu. Médusés et en un sens terrifiés, les pêcheurs font un bond en arrière, tous secrètement persuadés de vivre le plus beau matin de leur vie.

Extraits de Hubert Haddad, La Sirène d'Isé, Sulma éditions, 2021, pages 174-175

Reviendra-t-il aux enfants, une fois de plus, de nous indiquer le chemin d'humanité que nous devons suivre ? Dans l'Antiquité, les Romains dénommaient la Méditerranée ''Mare nostrum'' (Notre mer). ''Nous'' laissons "notre" mère Méditerranée dévorer ses enfants, engloutir ''nos'' enfants. Pour longtemps encore ? Et combien de ces jeunes femmes finissent-elles dans des réseaux de prostitution ou de traite ?