I'm a human being
Par Jacques Vauloup le jeudi 16 juillet 2020, 04:20 - Cinépassion - Lien permanent
En période de disette au cinéma, on remet au grand écran Elephant man, le chef d'oeuvre de David Lynch (1980) ! Ce film en noir et blanc est une adaptation romancée des mémoires de Frederick Treves, le médecin qui prit en charge Joseph Merrick − John dans le film − surnommé « Elephant Man » du fait de ses nombreuses difformités. Grand film sur l'humain et l'inhumain en nous.
Animal ou être humain ?
En 1884, à Londres, dans l'Angleterre victorienne, John Merrick, « l'homme éléphant » (John Hurt) est, comme d'autres êtres humains affectés de difformités ou d'anomalies physiques, un phénomène de foire exploité par Bytes, son propriétaire
, qui en a fait un gagne-pain lucratif. Le docteur Treves (Anthony Hopkins), chirurgien réputé de Londres, intrigué par l'apparence visuelle de l'homme-éléphant, demande à Bytes de pouvoir l'examiner plus en détail. Il l'héberge dans une chambre de l'hôpital, le temps de l'étudier et de le présenter à ses confrères dans son cours d'anatomie. Il décide de le garder dans l'hôpital.
Merrick va se mettre à communiquer avec Treves, récitant un passage entier d'un psaume de la Bible lors de la première visite du directeur, s'exprimant dans un anglais parfait malgré les défauts de prononciation dus à ses lèvres et sa bouche terriblement déformées, et révélant une grande sensibilité doublée d'une intelligence hors norme. Mais Bytes somme le Dr Treves de lui rendre l'homme-éléphant. L'histoire de l'humanisation et de la remise en dignité de John Merrick connaîtra des aléas quand redevenu objet aliéné, maltraité, martyrisé, exploité, il ne devra son salut que dans la fuite à Ostende. Il retourne à Londres où, finalement, il sera sauvé et mis en sécurité par le docteur Treves.
I'm a human being
Après avoir assisté, émerveillé, à une première représentation dans un grand théâtre londonien, il sera invité par la grande comédienne Madge Kendal (Anne Bancroft) qui l'a pris en amitié, protégé par la princesse de Galles elle-même et ovationné lors de son passage au théâtre.
I'm a human being
est le cri que lance John à ses poursuivants qui, dans le métro de Londres, s'apprêtaient à le lyncher. Dans la lignée de L'enfant sauvage (Truffaut, 1970), le chef d'oeuvre Elephant man conte, dans le monde d'hier, la vulnérabilité du genre humain, la très lente humanisation de l'être humain, l'histoire de l'esclavage et de l'exploitation des humains tout simplement différents. Il dit aussi la violence inouïe dont seul est capable l'homme envers l'homme. Et croire que cette histoire d'humanisation d'un être humain et des êtres humains qui l'entourent, que cette humanisation de notre inhumanité est une histoire ancienne et révolue serait une grave erreur et serait faire preuve d'une cécité coupable. Il n'est par exemple qu'à penser au sort des jeunes réfugiés africains qui, au risque de leur vie, s'embarquent sur des objets flottants de fortune dans la Méditerranée... Ou à celui des personnes en situation de handicap... Ou encore aux personnes sujettes à la très grande pauvreté ou à la très grande solitude... C'est en France, aujourd'hui, pays des droits de l'homme, de la femme, des enfants et du citoyen.
Avez-vous remarqué que dans ce siècle tout est devenu plus vrai, plus véritablement soi-même ?
questionne Imre Kertész (1929-2016) dans Un autre, chronique d'une métamorphose (Actes sud, 1999). Le soldat est devenu un tueur professionnel ; la politique, du banditisme ; le capital, une usine à détruire les hommes équipée de fours crématoires ; la loi, la règle d'un jeu de dupes ; l'antisémitisme, Auschwitz ; le sentiment national, le génocide. Notre époque est celle de la vérité, c'est indubitable
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