L'auteur regroupe ici les billets parus depuis plus d'une décennie sur son blog. Il en profite pour asséner à plusieurs reprises son mantra : Il faut supprimer les procédures d'orientation au collège ! Mais de quoi parle-t-on vraiment ?

Définition

Dans l'enseignement du second degré public et privé sous contrat, l'orientation et l'affectation des élèves sont soumises, à chaque niveau, à un ensemble de règles appelées procédures.

La procédure d'affectation est l'organisation de l'admission de l'élève dans une classe en fonction de la carte des formations et des voeux des familles. Dans l'enseignement public, l'affectation relève de l'inspecteur d'académie, directeur académique des services départementaux de l'éducation nationale (IA-DASEN ou DSDEN).

Trois points majeurs en découlent :

(1) Dans l'enseignement public, seule la procédure d'affectation − et ce, en cas de changement d'établissement, ce qui inclut les demandes formulées sous Affelnet, les demandes de dérogation à la carte scolaire, les commissions d'appel ainsi que les (ré)affectations d'élèves exclus en cours de cycle − relève de la direction académique, et non les procédures d'orientation − changements de classes ou de niveaux internes à l'établissement, conception et modalités de l'évaluation scolaire, conception et organisation du Parcours avenir, aide et conseil individualisés aux élèves et aux familles, organisation et fonctionnement des conseils de classe et des entretiens avec les familles ;

(2) Dans l'enseignement privé sous contrat et hors contrat, ni les procédures d'affectation (hors Affelnet et Parcoursup) ni les procédures de dérogation ni les procédures d'orientation ne relèvent de la compétence administrative de la direction académique ou du rectorat ;

(3) Ainsi, phénomène inégalitaire de taille et aux larges conséquences, l'enseignement privé sous contrat bénéficie-t-il de très larges contributions des contribuables sans presque aucune contrainte ni contrôle sur des points essentiels : carte scolaire cadrée dans le public versus inexistante dans le privé sous contrat, affectation des élèves contrôlée académiquement dans le public versus de gré à gré entre la famille et l'établissement dans le privé, le privé n'ayant en outre aucune obligation d'admettre, contrairement au public, des élèves-patates-chaudes-multi-exclus, ni de prendre sa part (sauf exception) à la scolarisation et à l'intégration des mineurs-isolés-d-origine-étrangère.

D'où je parle

De 1971 à 2017, pendant 46 ans, j'ai connu et pratiqué de très près les procédures d'orientation et d'affectation : professeur principal en collège (7 ans), conseiller d'orientation (9 ans), inspecteur en orientation (30 ans). À ces trois titres, j'ai participé à de nombreux conseils de classe en collège, lycée professionnel et lycée général ou technologique, et en ai présidé une quinzaine ; je me suis entretenu avec de nombreuses familles, des élèves et des étudiants ; j'ai organisé les procédures d'orientation et d'affectation dans 2 académies et 4 départements (Affelnet, dérogation, commissions d'affectation, commissions d'appel, commissions absentéisme, commissions allophones) ; rédigé des circulaires et vademecum annuels des procédures ; présidé des centaines de commissions ; effectué des bilans annuels détaillés des procédures ; réalisé diverses études (conseil de classe, dérogation à l'entrée en sixième, dérogation à l'entrée en seconde) ; formé professeurs, conseillers d'orientation-psychologues (devenus psychologues de l'éducation nationale en 2017), conseillers principaux d'éducation et personnels de direction ; réalisé des audits d'établissements scolaires ; contribué aux travaux des commissions Legrand et Prost (1982), Thélot (2003), au suivi national de l'expérimentation du choix donné à la famille dans la décision d'orientation (Jellab, 2015), aux travaux du Conseil économique social et environnemental (2018).

Cinq points en débat

Plutôt que de reprendre linéairement, point par point, les analyses de Bernard Desclaux, je concentrerai ici ma lecture, comme nous y invite le sous-titre de l'ouvrage, sur cinq points à mes yeux en débat.

Procédure vs Processus. Si l'on admet que la procédure d'orientation, ou d'affectation, concerne un temps plutôt court dans un long parcours d'orientation, dans le cheminement pluriannuel d'une personne, la plupart du temps d'un adolescent en devenir, alors il serait impératif de se concentrer sur le processus, le process et non sur la procédure. C'est le rôle du conseil de classe, du professeur principal et, plus encore, du psychologue. Malheureusement, le plus souvent, le conseil de classe n'a pas le temps (ou plutôt ne le prend pas), le professeur principal est noyé dans les tâches ad-mini-stratives et le psychologue déserte le conseil de classe faute de temps et de priorisation stratégique de ses activités.

Autorité vs Pouvoir. Desclaux insiste beaucoup, à juste titre, sur la difficulté, pour l'institution scolaire, de se défaire du pouvoir sur autrui, et ajoute que, lorsqu'on perçoit une éclaircie ou une ouverture, vite le pouvoir faiblissant des professeurs se transforme en renforcement de celui des personnels de direction (voir à ce sujet leurs récentes prérogatives quant à la décision de redoublement et leur constant lobbying pour prendre du pouvoir sur les procédures d'orientation et d'affectation). Or, si l'on admet qu'en démocratie, le seul pouvoir qui compte à développer en milieu éducatif est le sentiment d'auto-efficacité du sujet (Bandura, 1977), le pouvoir d'auto-risation (autoriser, c'est s'autoriser, devenir son propre auteur), alors devraient être encouragées par l'institution des expériences telles que donner la main aux familles sur la décision d'orientation (limitée à quelques centaines de collèges publics de 2014 à 2017 et interrompue brutalement en 2017), participation systématique des élèves aux conseils de classe, contribution des élèves eux-mêmes à l'établissement du Parcours avenir dans l'établissement.

Autonomie vs Aliénation. Si, comme nous y invite Hartmut Rosa, l'on vise une école qui soit non seulement l'école du savoir mais aussi, tout aussi décisif, une école de la résonance, si nous visons à former un individu apte à déceler si et de quelle manière les choses l'affectent, si nous cherchons à construire un élève socialisé et non un geek isolé, alors l'autonomisation du sujet et non son aliénation deviennent non des options mais le coeur même du réacteur. De ce point de vue, la tâche de l'école est simple à décrire, beaucoup plus délicate à réaliser : passer du sentiment J'ai été orienté, aujourd'hui encore très présent dans les représentations des jeunes adultes (et il y a des raisons objectives à la survivance de ce sentiment) au sentiment Je me suis orienté.e. Mais on n'avancera pas significativement sans mettre en exergue et en complémentarité des grilles de lecture multiréférentielles des situations éducatives (Ardoino, 1986) et, donc, des procédures d'orientation. Ne pas barguigner sur la dimension psychologique (elle a progressé) de l'orientation, mais y ajouter d'autres grilles de compréhension et d'interprétation : sociologique, anthropologique, économique, politique (le politique), éthique.

Donner des conseils vs Tenir conseil. Subsiste un grave malentendu à propos du conseil, et à mes yeux, l'ouvrage de Bernard Desclaux ne le lève pas. Trop souvent encore, conseiller c'est donner des conseils, et nous voici retombés dans la spirale infernale de l'influence sur autrui, du pouvoir sur autrui, du pouvoir tout court... Lhotellier (Tenir conseil, 2001) a montré que tenir conseil était délibérer pour agir. Zarka (1977) avait ouvert la voie. Et Tenir conseil a aussi à voir aujourd'hui avec le conseil à distance, le conseil en ligne (Boy, 2007), la clinique de l'orientation (Baudouin, 2008). À mes yeux, le conseil, le tenir conseil, en présentiel ou en distanciel, en entretien dialogique à deux ou à plusieurs, en conseil de classe aussi, est à réinvestir et à réinventer. Comme nombre de conseillers d'orientation-psychologues dans les années 1990-2000-2010, dans son ouvrage, Desclaux indique qu'il a oublié le conseil de classe lorsqu'il était conseiller car il n'y trouvait plus prise pour son activité. Et il faut reconnaître que l'institution référente (direction académique, rectorat, inspection générale) s'en est totalement désintéressée. Grave erreur, me semble-t-il. Qui réinvestira le conseil ? Qui redonnera vigueur au tenir conseil ?

Orientation scolaire vs Orientation professionnelle. Il me semble fort paradoxal, dans un ouvrage consacré à l'orientation scolaire, de surfer sans s'y arrêter sur l'orientation professionnelle. Deux citations en tout et pour tout dans un ouvrage de 262 pages : un paragraphe, page 41, consacré aux temps historiques, un paragraphe consacré, page 160, à la compétence régionale et aux délicates associations de travail entre les différents intervenants en établissement. Or, si depuis sa création en temps qu'orientation professionnelle entre les deux guerres mondiales du 20è siècle, l'orientation, avec la massification scolaire des années 1960, s'est largement scolarisée, quel sens aurait aujourd'hui pour un individu en devenir, pour un adolescent ou une jeune adulte, une orientation scolaire qui se déprendrait totalement de l'orientation professionnelle ou la penserait séquentiellement comme un après la scolarité, voire comme un ailleurs ? Cela supposerait bien entendu que l'orientation tout au long de la vie puisse devenir autre chose qu'un voeu pieux et le Parcours avenir, le mal nommé, un mot creux. Les chemins de l'orientation professionnelle (Latreille, 1984) ne commencent-t-ils pas à l'école et n'ont-ils pas à voir avec les procédures d'orientation ?

En résumé, regroupant de nombreux billets parus depuis des années dans son blog, l'ouvrage de Bernard Desclaux sera très utile, comme l'a perçu Claude Lelièvre dans sa préface, à celles et ceux qui ne connaissent pas la complexité (ni la complication ad-mini-strative, procédurière voire bureaucratique) des procédures d'orientation et/ou d'affectation. Il apprendra moins à celles et ceux qui connaissent le système procédural pour le pratiquer ou l'avoir pratiqué longtemps, et qui suivent régulièrement le blog de Bernard, ce que je recommande chaleureusement à mes lecteurs. Et puis, bien sûr, Bernard, il est temps de s'interroger sérieusement sur la survivance des procédures d'affectation au collège, mais cela n'ira pas sans de profondes réformes structurelles (à l'école) et sociales (hors l'école) tant de profondes inégalités subsistent dans des parcours d'orientation socio-économiquement surdéterminés. Il est temps d'avancer en ce sens car, en sus, les enfants sont désormais plus jeunes en troisième et de moins en moins prêts à choisir. En outre, comme le dit Desclaux à juste titre, les objectifs du socle commun de connaissances, de compétences et de culture (2015) sont totalement incompatibles avec le tri des élèves. Il est pourtant permis de douter que quoi que ce soit de nouveau n'advienne avant 2022. Et après ?

Ce billet a été modifié le 13 juillet 2020 à 15h45, puis le 14 juillet 2002 à 9h15.

Pour aller plus loin

Desclaux B. (2020), Orientation scolaire, les procédures mises en examen, quel débat dans une société démocratique ? L'Harmattan, 2020, 270 p.

Le blog de Bernard Desclaux

Vauloup J. (2004), Changer le conseil de classe, Inspection académique Sarthe, 80 p. Une enquête de terrain près de professeurs, conseillers d'orientation-psychologues, personnels de direction... Cinq éclairages, cinq approfondissements et dix outils pour changer le conseil de classe.

Vauloup J. (2006), Les parents d'élèves et les processus d'orientation, contribution à l'inspection générale de l'éducation nationale, 6 p.

Vauloup (2018), Contributions au rapport du CESE sur l'orientation des jeunes : 51 contributions, 12 propositions, 14 arguments