Les procédures d'orientation mises en examen par Bernard Desclaux
Par Jacques Vauloup le lundi 13 juillet 2020, 04:14 - S'orienter - Devenir - Lien permanent
Mettre en examen les procédures d'orientation est juste, affirme Bernard Desclaux, tant elles auront failli. En 1890, l'institution scolaire remettait
l'enfant à sa famille quand bon lui semblait après en avoir fait à peu près ce qu'elle voulait. Depuis les nouvelles procédures d'orientation
(1973) et la massification scolaire
(Cros 1961, Prost 1986), une lente, inexorable mais insuffisante déconstruction du pouvoir professoral est en cours.
L'auteur regroupe ici les billets parus depuis plus d'une décennie sur son blog. Il en profite pour asséner à plusieurs reprises son mantra : Il faut supprimer les procédures d'orientation au collège ! Mais de quoi parle-t-on vraiment ?
Définition
Dans l'enseignement du second degré public et privé sous contrat, l'orientation et l'affectation des élèves sont soumises, à chaque niveau, à un ensemble de règles appelées procédures.
La procédure d'affectation est l'organisation de l'admission de l'élève dans une classe en fonction de la carte des formations et des voeux des familles. Dans l'enseignement public, l'affectation relève de l'inspecteur d'académie, directeur académique des services départementaux de l'éducation nationale (IA-DASEN ou DSDEN).
Trois points majeurs en découlent :
(1) Dans l'enseignement public, seule la procédure d'affectation − et ce, en cas de changement d'établissement, ce qui inclut les demandes formulées sous Affelnet, les demandes de dérogation à la carte scolaire, les commissions d'appel ainsi que les (ré)affectations d'élèves exclus en cours de cycle − relève de la direction académique, et non les procédures d'orientation − changements de classes ou de niveaux internes à l'établissement, conception et modalités de l'évaluation scolaire, conception et organisation du Parcours avenir, aide et conseil individualisés aux élèves et aux familles, organisation et fonctionnement des conseils de classe et des entretiens avec les familles ;
(2) Dans l'enseignement privé sous contrat et hors contrat, ni les procédures d'affectation (hors Affelnet et Parcoursup) ni les procédures de dérogation ni les procédures d'orientation ne relèvent de la compétence administrative de la direction académique ou du rectorat ;
(3) Ainsi, phénomène inégalitaire de taille et aux larges conséquences, l'enseignement privé sous contrat bénéficie-t-il de très larges contributions des contribuables sans presque aucune contrainte ni contrôle sur des points essentiels : carte scolaire cadrée dans le public versus inexistante dans le privé sous contrat, affectation des élèves contrôlée académiquement dans le public versus de gré à gré entre la famille et l'établissement dans le privé, le privé n'ayant en outre aucune obligation d'admettre, contrairement au public, des élèves-patates-chaudes-multi-exclus
, ni de prendre sa part (sauf exception) à la scolarisation et à l'intégration des mineurs-isolés-d-origine-étrangère.
D'où je parle
De 1971 à 2017, pendant 46 ans, j'ai connu et pratiqué de très près les procédures d'orientation et d'affectation : professeur principal en collège (7 ans), conseiller d'orientation (9 ans), inspecteur en orientation (30 ans). À ces trois titres, j'ai participé à de nombreux conseils de classe en collège, lycée professionnel et lycée général ou technologique, et en ai présidé une quinzaine ; je me suis entretenu avec de nombreuses familles, des élèves et des étudiants ; j'ai organisé les procédures d'orientation et d'affectation dans 2 académies et 4 départements (Affelnet, dérogation, commissions d'affectation, commissions d'appel, commissions absentéisme, commissions allophones) ; rédigé des circulaires et vademecum annuels des procédures ; présidé des centaines de commissions ; effectué des bilans annuels détaillés des procédures ; réalisé diverses études (conseil de classe, dérogation à l'entrée en sixième, dérogation à l'entrée en seconde) ; formé professeurs, conseillers d'orientation-psychologues (devenus psychologues de l'éducation nationale en 2017), conseillers principaux d'éducation et personnels de direction ; réalisé des audits d'établissements scolaires ; contribué aux travaux des commissions Legrand et Prost (1982), Thélot (2003), au suivi national de l'expérimentation du choix donné à la famille dans la décision d'orientation (Jellab, 2015), aux travaux du Conseil économique social et environnemental (2018).
Cinq points en débat
Plutôt que de reprendre linéairement, point par point, les analyses de Bernard Desclaux, je concentrerai ici ma lecture, comme nous y invite le sous-titre de l'ouvrage, sur cinq points à mes yeux en débat.
Procédure vs Processus. Si l'on admet que la procédure d'orientation, ou d'affectation, concerne un temps plutôt court dans un long parcours d'orientation, dans le cheminement pluriannuel d'une personne, la plupart du temps d'un adolescent en devenir, alors il serait impératif de se concentrer sur le processus, le process et non sur la procédure. C'est le rôle du conseil de classe, du professeur principal et, plus encore, du psychologue. Malheureusement, le plus souvent, le conseil de classe n'a pas le temps (ou plutôt ne le prend pas), le professeur principal est noyé dans les tâches ad-mini-stratives et le psychologue déserte le conseil de classe faute de temps et de priorisation stratégique de ses activités.
Autorité vs Pouvoir. Desclaux insiste beaucoup, à juste titre, sur la difficulté, pour l'institution scolaire, de se défaire du pouvoir sur autrui, et ajoute que, lorsqu'on perçoit une éclaircie ou une ouverture, vite le pouvoir faiblissant des professeurs se transforme en renforcement de celui des personnels de direction (voir à ce sujet leurs récentes prérogatives quant à la décision de redoublement et leur constant lobbying pour prendre du pouvoir sur les procédures d'orientation et d'affectation). Or, si l'on admet qu'en démocratie, le seul pouvoir qui compte à développer en milieu éducatif est le sentiment d'auto-efficacité du sujet (Bandura, 1977), le pouvoir d'auto-risation (autoriser, c'est s'autoriser, devenir son propre auteur), alors devraient être encouragées par l'institution des expériences telles que donner la main aux familles sur la décision d'orientation (limitée à quelques centaines de collèges publics de 2014 à 2017 et interrompue brutalement en 2017), participation systématique des élèves aux conseils de classe, contribution des élèves eux-mêmes à l'établissement du Parcours avenir dans l'établissement.
Autonomie vs Aliénation. Si, comme nous y invite Hartmut Rosa, l'on vise une école qui soit non seulement l'école du savoir mais aussi, tout aussi décisif, une école de la résonance, si nous visons à former un individu apte à déceler si et de quelle manière les choses l'affectent, si nous cherchons à construire un élève socialisé et non un geek isolé, alors l'autonomisation du sujet et non son aliénation deviennent non des options mais le coeur même du réacteur. De ce point de vue, la tâche de l'école est simple à décrire, beaucoup plus délicate à réaliser : passer du sentiment J'ai été orienté
, aujourd'hui encore très présent dans les représentations des jeunes adultes (et il y a des raisons objectives à la survivance de ce sentiment) au sentiment Je me suis orienté.e
. Mais on n'avancera pas significativement sans mettre en exergue et en complémentarité des grilles de lecture multiréférentielles des situations éducatives (Ardoino, 1986) et, donc, des procédures d'orientation. Ne pas barguigner sur la dimension psychologique (elle a progressé) de l'orientation, mais y ajouter d'autres grilles de compréhension et d'interprétation : sociologique, anthropologique, économique, politique (le politique), éthique.
Donner des conseils vs Tenir conseil. Subsiste un grave malentendu à propos du conseil, et à mes yeux, l'ouvrage de Bernard Desclaux ne le lève pas. Trop souvent encore, conseiller c'est donner des conseils, et nous voici retombés dans la spirale infernale de l'influence sur autrui, du pouvoir sur autrui, du pouvoir tout court... Lhotellier (Tenir conseil, 2001) a montré que tenir conseil était délibérer pour agir. Zarka (1977) avait ouvert la voie. Et Tenir conseil a aussi à voir aujourd'hui avec le conseil à distance, le conseil en ligne (Boy, 2007), la clinique de l'orientation (Baudouin, 2008). À mes yeux, le conseil, le tenir conseil, en présentiel ou en distanciel, en entretien dialogique à deux ou à plusieurs, en conseil de classe aussi, est à réinvestir et à réinventer. Comme nombre de conseillers d'orientation-psychologues dans les années 1990-2000-2010, dans son ouvrage, Desclaux indique qu'il a oublié
le conseil de classe lorsqu'il était conseiller car il n'y trouvait plus prise pour son activité. Et il faut reconnaître que l'institution référente (direction académique, rectorat, inspection générale) s'en est totalement désintéressée. Grave erreur, me semble-t-il. Qui réinvestira le conseil ? Qui redonnera vigueur au tenir conseil ?
Orientation scolaire vs Orientation professionnelle. Il me semble fort paradoxal, dans un ouvrage consacré à l'orientation scolaire, de surfer sans s'y arrêter sur l'orientation professionnelle. Deux citations en tout et pour tout dans un ouvrage de 262 pages : un paragraphe, page 41, consacré aux temps historiques, un paragraphe consacré, page 160, à la compétence régionale et aux délicates associations de travail entre les différents intervenants en établissement. Or, si depuis sa création en temps qu'orientation professionnelle entre les deux guerres mondiales du 20è siècle, l'orientation, avec la massification scolaire des années 1960, s'est largement scolarisée, quel sens aurait aujourd'hui pour un individu en devenir, pour un adolescent ou une jeune adulte, une orientation scolaire qui se déprendrait totalement de l'orientation professionnelle ou la penserait séquentiellement comme un après la scolarité
, voire comme un ailleurs ? Cela supposerait bien entendu que l'orientation tout au long de la vie
puisse devenir autre chose qu'un voeu pieux et le Parcours avenir, le mal nommé, un mot creux. Les chemins de l'orientation professionnelle
(Latreille, 1984) ne commencent-t-ils pas à l'école et n'ont-ils pas à voir avec les procédures d'orientation ?
En résumé, regroupant de nombreux billets parus depuis des années dans son blog, l'ouvrage de Bernard Desclaux sera très utile, comme l'a perçu Claude Lelièvre dans sa préface, à celles et ceux qui ne connaissent pas la complexité (ni la complication ad-mini-strative, procédurière voire bureaucratique) des procédures d'orientation et/ou d'affectation. Il apprendra moins à celles et ceux qui connaissent le système procédural pour le pratiquer ou l'avoir pratiqué longtemps, et qui suivent régulièrement le blog de Bernard, ce que je recommande chaleureusement à mes lecteurs. Et puis, bien sûr, Bernard, il est temps de s'interroger sérieusement sur la survivance des procédures d'affectation au collège, mais cela n'ira pas sans de profondes réformes structurelles (à l'école) et sociales (hors l'école) tant de profondes inégalités subsistent dans des parcours d'orientation socio-économiquement surdéterminés. Il est temps d'avancer en ce sens car, en sus, les enfants sont désormais plus jeunes en troisième et de moins en moins prêts à choisir. En outre, comme le dit Desclaux à juste titre, les objectifs du socle commun de connaissances, de compétences et de culture (2015) sont totalement incompatibles avec le tri des élèves. Il est pourtant permis de douter que quoi que ce soit de nouveau n'advienne avant 2022. Et après ?
Ce billet a été modifié le 13 juillet 2020 à 15h45, puis le 14 juillet 2002 à 9h15.
Pour aller plus loin
Vauloup J. (2006), Les parents d'élèves et les processus d'orientation, contribution à l'inspection générale de l'éducation nationale, 6 p.
Commentaires
Bonjour Jacques
Merci tout d'abord pour cette présentation de mon livre et la formulation de ces cinq points de débats.
Je commence à y répondre sur mon site. Et voici le premier article (les autres suivront petit à petit) :
Réponses à Jacques Vauloup, Procédure vs Processus
http://blog.educpros.fr/bernard-des...
J'ai atteints votre blog en faisant le détour par celui de Bernard Desclaux. A vrai dire je me retrouve beaucoup plus dans votre approche de l'orientation que je considère personnellement comme, une éducation à la prise de décision pour toute personne en évolution dans un monde en évolution. Les procédures sont des effets de système, l'orientation proprement dite est propre à l'individu et à son cheminement. J'ai eu l'occasion dans un travail de recherche action piloté par Robert Baillon d'opposer au concept administratif d'intérêt général celui que pouvaient en avoir les conseillers d'orientation. De mon point de vue pour le conseiller d'orientation l'intérêt général est constitué de la somme des intérêts particuliers. Je pense que là se trouve la contradiction fondamentale entre procédure et processus.
Le 27 mai dernier, j'ai réédité ici le rapport que Robert Ballion avait publié en 1987 suite à son travail sur La fonction d'orientation (en annexe du billet suivant) :
http://propos.orientes.free.fr/dotc...
En sociologue de l'école et du consumérisme scolaire (1982), Ballion montrait le désarroi et la désorientation qui habitaient alors les conseillers d'orientation et les CIO devant leurs missions publiées dans la circulaire du 25 février 1980. A mes yeux, la grandeur des conseillers et des CIO est d'avoir porté cette "orientation-évolution personnelle dans un monde en évolution" dont vous parlez justement. Mais ils payèrent bien cher leur autonomie d'action. Aujourd'hui encore.
Mon point de vue, c’est les procédures
Les procédures d’orientation scolaires sont le sujet de mon livre. C’est un thème peu étudier et pourtant assez spécifique à notre système éducatif français. Curieusement, la critique de l’orientation se fait le plus souvent à propos des personnels, au sens large, incapables de « bien informer » les élèves. C’est le leitmotiv qui se répète de rapport en rapport. L’orientation serait incapable de bien alimenter le processus de l’orientation des élèves par eux-mêmes. Si en effet, c’est ce processus qui devrait être accompagné, protégé, développé, etc. il n’en est pas moins vrai que ce processus est d’abord contraint par nos procédures d’orientation. Et cette contrainte ne porte pas que sur les élèves et leurs parents, mais également sur les enseignants et les chefs d’établissement.
Ce que j’essaye de montrer, c’est que le processus pédagogique, dans notre pays est tout particulièrement contraint par nos procédures. D’où mon « mantra », la suppression des procédures ! Notre système méritocratique avec les procédures a attribué aux enseignants de l’élève le pouvoir du jugement (non pas celui de décision). Ce jugement doit être accepté et acceptable aux yeux mêmes du juge, et pour cela la meilleurs justification est l’évaluation de la performance de l’élève. D’où une forme de pédagogie pilotée par l’évaluation finale permettant la mise en différence des élèves, et non pas une pédagogie de l’apprentissage par tous.
Le conseil de classe
Nous avons écrit en commun pour le livre coordonné par Dominique Odry[1], un article « Le conseil de classe, entre justesse, justice et justification », par Bernard Desclaux et Jacques Vauloup. Et dès cette rencontre, Jacques était l’optimiste et moi le pessimiste à propos du fonctionnement du conseil de classe. Il pensait en termes d’améliorations possibles du fonctionnement du conseil de classe, tandis que j’en faisais la critique et pointais son blocage sur le jugement scolaire.
De mon point de vue si le conseil de classe ne se concentre pas sur le processus, ce n‘est pas par manque de volonté, ou parce que « le professeur principal est noyé dans les tâches ad-mini-stratives et le psychologue déserte le conseil de classe faute de temps et de priorisation stratégique de ses activités » comme l’écrit Jacques. Le manque de volonté, la perte de ma maîtrise ou l’absence de stratégie n’ont rien à voir.
J’ai souvent écrit à propos du conseil de classe, mais je n’ai pas repris ces articles dans mon livre après beaucoup d’hésitations. C’est sans doute une erreur de ma part. Tant le conseil de classe est un espace de la mise en acte des procédures.
Le conseil de classe, ou plutôt la réunion des professeurs autour du chef d’établissement est né avec la première circulaire (1890) réglementant le passage en classe supérieure et en fondant le jugement professoral sur la notation[2]. Mais en 1898, une circulaire ajoute une autre fonction à cette réunion : « s’entretenir de l’état de la classe, du travail et des progrès des élèves ». On a donc d’un côté une fonction individualisante, le jugement de l’élève, et de l’autre une fonction englobante, portée sur l’examen de la classe, du groupe. En 1976 il s’agit d’examiner « les questions pédagogiques intéressant la vie de la classe », et aujourd’hui il s’agit « de traiter les questions pédagogiques intéressant la vie de classe, et notamment les modalités d’organisation du travail personnel des élèves ».
En conclusion de cet article sur le conseil de classe j’écrivais :
« … en effet le conseil de classe pourrait être cette instance permettant la coordination du travail enseignant. Mais dans ce même espace-temps-groupe comment est-t-il possible, à la fois,
d’évaluer individuellement les élèves, c’est-à-dire les différencier,
et d’organiser le travail pédagogique qui est censé faire réussir tous les élèves.
Philippe Perrenoud[3] le rappelait : l’évaluation de l’élève nécessite de l’expliquer par le travail… de l’élève, et surtout pas par celui des enseignants. »
Pour que le fonctionnement méritocratique fonctionne, il est impératif que la cause de la réussite soit bien du côté de l’élève, à la rigueur de la classe », mais surtout pas du côté de/des enseignants.
Or s’intéresser au processus c’est nécessairement à un moment le mettre en rapport avec le contexte notamment pédagogique.
Au fond je pense que ce qui nous différencie c’est pour toi Jacques ta foi en la possibilité d’une amélioration de l’aide au procès d’orientation, alors que je pense que cette amélioration ne peux être efficace tant que les procédures d’orientation sont maintenues. Notre objectif est identique mais pas notre appréciation de la situation.
Bernard Desclaux
1] L’orientation, c’est l’affaire de tous – Tome 1 : Les enjeux, Scéren (CRDP de l’académie d’Amiens) / CRAP-Cahiers pédagogiques / ESENESR, 2006. 143 p. (Repères pour agir. Second degré – Série Dispositifs).
2] Bernard Desclaux, Aux origines ...
[3] L’évaluation des élèves. De la fabrication de l’excellence à la régulation des apprentissages. Entre deux logiques De Boeck Université, 1998
Autorité vs Pouvoir
Aux origines
Merci d’insister sur cette distinction-confrontation entre le pouvoir professoral-institutionnel qui s’exerce entre autre dans et par les procédures d’orientation, et l’autorisation du sujet par lui-même. Il faut se rappeler que nos deux formes scolaires, tant celle du primaire que celle du secondaire reposent sur un principe de pouvoir sur autrui élaboré dans les institutions religieuses chrétiennes.
Pour le primaire, l’enseignement mutuel au début du XIXe siècle est un modèle intéressant en particulier sur un plan économique. « Bien que les États aient adhéré différemment au mutualisme, celui-ci a souvent répondu à deux de leurs préoccupations : celle de massifier l’enseignement élémentaire en rendant publique l’instruction et cela, à moindre coût. En effet, compte-tenu notamment de leur situation économique précaire, les États européens peinent à étendre l’instruction, former et salarier correctement les maîtres. »[1] Mais très vite, le modèle simultané qui va s’imposer, particulièrement en France. Pour une analyse plus détaillée de ce moment, voir le mémoire de Sylvie Jouan[2]. Retenons tout de même deux éléments le modèle simultané est issue des écoles des Frères détaillé dans le manuel de Jean-‐Baptiste de la Salle : La conduite des écoles chrétiennes (publié en 1719, réédité en 1828). Et Sylvie Jouan insiste sur le fait que Guizot défend finalement ce modèle non pas tant au nom de la religion mais parce que « le savoir est transmis directement par un maître à tous les élèves d’une classe simultanément » (p. 6).
Et dans le secondaire, les historiens pointent la référence au collège des Jésuites, même si la Compagnie de Jésus est supprimée par le Pape en 1773, et dès 1763 en France. En particulier, Olivier Maulini[3] et Pierre Merle[4], travaillant sur les origines de la notation indiquent que l’invention de cette pratique se fait à propos des concours d’entrée dans les Grandes Écoles. Pierre Merle indique : « Dès la fin du XVIIIe siècle, le principe du concours reposant sur une évaluation des connaissances par une échelle de lettres concurrence et peu à peu remplacera une sélection par la naissance pour l’accès aux corps techniques de l’État. » (paragraphe 25, P. Merle, 2015). On a là un changement essentiel du régime de la distinction : « l’introduction de l’évaluation chiffrée dans le concours marque un basculement du verdict d’un régime de sentence à un régime de mesure. Alors qu’auparavant, l’examinateur déterminait en son âme et conscience la valeur relative des candidats, sans avoir à faire montre de ses procédés d’évaluation, il doit dorénavant placer chacun des candidats examinés sur une échelle de notation commune et uniforme »[5]
La logique ternaire jésuitique des optimi, dubii, inepti qui fonde le passage en classe supérieure revient comme un leitmotiv. « Le passage dans la classe supérieure est aussi régi par une organisation plus complexe que la logique ternaire jésuitique des optimi, dubii, inepti. Le passage est décidé soit à partir des classements obtenus lors des compositions hebdomadaires (cf. ci-dessus) qui constituent une forme de contrôle continu, soit par un examen de fin d’année, soit par un examen lors de la rentrée des classes (Chervel, 1992). Ces pratiques ne sont pas forcément exclusives les unes des autres. »[6] (paragraphe 18, P. Merle, 2015)
Olivier Maulini (1996) indique par exemple : « Au bout du compte, des appréciations chiffrées vont remplacer les indications de rang. Au collège jésuite de Caen, on adoptera une échelle à 4 niveaux: 1 = bien; 2 = assez bien; 3 = médiocre; 0 = mal. Des classements interviendront en fin d’année, qui permettront de distinguer le bon grain de l’ivraie. Les « optimi » seront promus dans la classe supérieure, au contraire des « inepti ». Les « dubii » seront admis dans la classe suivante, mais à l’essai. En cas de problème, ils redescendront dans leur classe de départ. Enfin, les parents seront invités à retirer les bornés et les cancres (Dainville[7], 1978). » (p. 5)
Récupération du pouvoir
Ce contrôle des élèves est parfait pour un Etat qui d’un côté cherche à imposer l’école publique, mais qui de l’autre poursuit le principe d’une séparation-protection d’une éducation pour les notables. Et quand on compare la circulaire de 1890 cité par André Caroff[8] on y retrouve cette même organisation du passage en classe supérieure que celle présentée Dainville et Maulini. On a là les traces d’une Institution absolue qui prend et produit ses sujets et rejette les hérétiques[9]. Et c’est pouvoir absolu qui sera petit-à-petit déconstruit[10].
Si en effet « le pouvoir d’auto-risation » devrait être encouragé comme le dit Jacques Vauloup, je ne suis pas sûr que ce soit l’institution actuelle, elle-même, qui puisse le faire. Le principe du pouvoir sur autrui, même s’il a de plus en plus de difficulté à fonctionner[11], est encore le principe organisateur des relations à … l’élève (et non à l’enfant ou au jeune, ou à l’apprenant).
Bernard Desclaux
1] Sylviane TINEMBART, L’enseign...
2] Enseignement mutuel et enseigne... Mémoire réaliser sous la direction de Philippe Meirieu.
3] MAULINI, Olivier. Qui a eu cett...
4] Pierre Merle, L’école française et l’invention de la note. Un éclairage historique sur les polémiques contemporaines, Revue française de pédagogie, 193
5] BELHOSTE B. (2002). « Anatomie... (consulté le 27 février 2016).
[6] Paragraphe 18, P. Merle, 2015
[7] François de Dainville, L’Éducation des jésuites (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Éditions de Minuit (collection ‘Sens commun’), 1978.
[8] Caroff, A. (1987). L’organisation de l’orientation des jeunes en France, Evolution des origines à nos jours. Paris, France : EAP.
9] Bernard DESCLAUX LA PROCEDURE D...
10] Bernard Desclaux, « Apprendre...
[11] Dubet, F. (2002). Le déclin de l’institution. Paris, France : ed. du Seuil.
Autonomie vs Aliénation
Une première réponse
J’ai déjà répondu à cette alternative suite à la publication de l’article dont Jacques fait référence : Sur la résonance (3/4) : faire résoner l’école
Voici ce que j’écrivais en commentaire de l’analyse du livre de Hartmut Rosa proposée par Jacques.
La lecture de ta lecture du travail de Rosa Hartmut m’a beaucoup surpris. J’ai le sentiment que cette conception de l’Ecole est un peu idyllique. On pourrait l’espérer, mais malheureusement la réalité de l’école, son fonctionnement est bien différent; Il peut y avoir parfois, mais exceptionnellement des rencontres heureuses occasion de cette résonance.
Je suis tombé, par « hasard » bien sûr, sur ce morceau d’interview de Michel Foucault à propos de l’Ecole.
https://www.youtube.com/watch?v=Vjs...
Reste tout de même à te remercier de cette présentation de cet idéal pédagogique.
Mea-culpa
J’ai cru dans la possibilité de l’autonomie, que l’Ecole la favorisait, que mon rôle, notre rôle de conseiller d’orientation, participait dans l’émergence de cette autonomie. C’est l’essence même sans doute de tous ces métiers dit sociaux de lutter à une désaliénation du sujet qui favoriserait son autonomie.
C’est sans doute pour cela que j’ai choisi très tôt de m’engager dans le courant dit « éducatif » et que lors de la tentative de mise en œuvre de la circulaire sur l’éducation à l’orientation je m’y suis impliqué. Je pensais que cette occasion nous permettrait de sortir de la machinerie scolaire. Qu’il y avait là un levier pour remettre en question nos procédures d’orientation. Sauf que c’est bien l’inverse qui s’est passé. Les enseignants pour la plus part y ont vu le moyen de mieux « orienter » les élèves avec l’économie du pouvoir sur eux (un peu culpabilisant). Et du côté des conseillers la grande majorité y ont vu un risque de perdre leur rôle auprès des élèves, désormais exercé par les enseignants, et ainsi de disparaître de l’Education nationale.
L’objectif de l’autonomie dans notre système méritocratique est surtout un protecteur psychologique qui permet d’éviter le sentiment du sale boulot.
Bernard Desclaux
A propos de Hartmut Rosa
Jacques Vauloup a consacré quatre articles à la lecture de cet auteur :
Sur la résonance (1/4) http://propos.orientes.free.fr/dotc...
Sur la résonance (2/4) : fondements http://propos.orientes.free.fr/dotc...
Sur la résonance (3/4) : faire résoner l’école http://propos.orientes.free.fr/dotc...
Sur la résonance (4/4) : un monde rendu à son indisponibilité http://propos.orientes.free.fr/dotc...
Marc-Antoine Pencolé : Hartmut Rosa, Résonance. Une sociologie de la relation au monde Une recension du livre de Hartmut Rosa, Résonance. Une sociologie de la relation au monde, Paris, La Découverte, coll. « Théorie critique », 2018, 536 p., traduit de l’allemand par Sacha Zilberfarb, avec la collaboration de Sarah Raquillet, ISBN : 9782707193162. https://journals.openedition.org/le...
Sur France Culture
Épisode 5 : Hartmut Rosa, philosophe de la résonance émission de 2018 https://www.franceculture.fr/emissi...
Rencontre avec Hartmut Rosa, le philosophe anti-moderne https://www.franceculture.fr/emissi...
Donner des conseils vs Tenir conseil
Petit détour
A la suite de la mise en place d’un dispositif de formation pour l’éducation à l’orientation dans l’académie de Versailles à la fin des années 90, j’ai commencé à réfléchir sur la notion de conseiller technique. Depuis très longtemps ce rôle est attribué aux conseillers d’orientation dès les années 70, or le constat que nous faisions montrait que ce rôle n’était toujours pas accepté, ni par les collègues, ni en grande partie par les chefs d’établissement. Pourquoi ?
A l’époque, je ne trouve aucun travail théorique sur cette fonction[1]. Conseil, consultance et intervention sont des objets de travaux et d’études, mais pas le conseil technique. D’où une nécessité de bricoler un modèle et de développer des réflexions qui à ce jour restent personnelles même si j’en ai présenté des éléments dans de nombreuses actions de formation[2].
Je repends ci-dessous des éléments de ces travaux
Un historique du mot conseil[3]
Le mot apparaît vers 980 du latin « consilium ». Il désigne, dans le champ juridique le lieu où l’on délibère. Ce n’est qu’ensuite qu’il prend le sens de l’acte qui se déroule dans ce lieu. Enfin troisième transformation tardive (vers 1611), il désigne le produit de cet acte : un avis que l’on donne à quelqu’un sur ce qu’il doit faire.
Une autre piste est le verbe à l’origine de « consilium » : consulere, qui veut dire « réunir pour une délibération ». Ici la notion de conseil est venue désigner l’ensemble des personnes ainsi réunies dans cet objectif de délibérer.
Donc du lieu a dérivé l’acte et le produit de cet acte, et du groupe a dérivé la compétence, la qualité de/des personnes réalisant cet acte.
Concernant le conseil de classe, on peut sans doute accepter cette terminologue au sens où il s’agit d’une réunion pour délibérer. Le conseil de classe donne un avis au chef d’établissement ; Rappelons-nous la formule des années 70 : le chef d’établissement prend sa décision sur avis du conseil de classe. Ensuite, dans les années 80, le chef d’établissement a formulé non plus une décision, mais une proposition. Et depuis 92, à l’issue du conseil de classe il formule toujours une proposition, mais en dehors du conseil de classe il prendra une décision à l’issue de l’entretien avec les parents, et c’est cette décision qui sera discutée en commission d’appel et non pas un conseil d’appel d’ailleurs. Et aujourd’hui, avec les derniers textes à propos du redoublement[6], c’est le chef d’établissement qui en assume la responsabilité.
On peut donc à mon sens s’interroger sur la pertinence de cette dénomination. Outre que le conseil de classe conseille de moins en moins le chef d’établissement, on est en droit de se demander s’il existe bien un « conseil » transmis à l’élève.
Une remarque très générale sur la notion de relation en français.
La notion de « conseiller » suppose une relation entre deux personnes : une relation entre un conseiller, qui serait actif et un conseillé qui lui serait passif. En français il semble qu’au cours d’une relation il n’y a qu’un seul des acteurs qui soit « actif » à la différence peut-être de l’anglais avec le « ing », le counselling, qui traduit mieux le co-travail entre les deux acteurs. Alexandre Lhotellier en utilisant plutôt l’expression « tenir conseil » insistait sur cet aspect. Notre langue décrit très difficilement la notion d’interaction, de simultanéité d’actions nécessairement différentes, mais aussi nécessairement conjointes.
S’il y a simultanéité, il y a également « séquenciation ». Le « conseil » s’inscrit dans un processus temporel : demande-acceptation, « conseil », acceptation ou refus. Et c’est aussi cet ensemble d’interaction qu’il faut comprendre.
Même si avec les nouvelles procédures d’orientation de 73, on fait démarrer la procédure par la « demande » des parents, on n’en reste pas moins dans un jeu contraint d’échanges où les uns doivent demander et les autres répondre. Dans le cadre de la procédure il n’y a aucune demande de conseil ni donation de conseil. Le « conseil » du conseiller d’orientation s’il est demandé par l’élève ou les parents à propos de la procédure d’orientation n’est pas obligatoire dans son cadre. Il en était de même pour le rôle du professeur principal. Mais depuis plusieurs années, le rapport professeur principal à l’élève et aux parents est de plus en plus contraint. En 2008 – 2009, la circulaire nationale de préparation de la rentrée instaure dans les collèges, un entretien personnalisé pour chaque élève avec le professeur principal et le conseiller d’orientation, en recherchant au maximum la participation des parents. Dix ans après une circulaire est publiée[5]. Bruno MAGLIULO en a fait une analyse très fouillée[6]. Il montre que le rôle du professeur principal concernant l’orientation est inclus dans le cadre plus général du « Parcours Avenir ». Mais dans ce cadre-là il n’est ni un conseiller ni un éducateur, il est un « persuadeur » ! Il écrit : « A cet égard, il doit veiller à ce qu’au moment d’exprimer leurs souhaits d’orientation, les parents ou tuteurs légaux ou l’élève majeur, tiennent compte de leur bilan scolaire et personnel, et se montrent donc aptes à faire des choix raisonnables. Le professeur principal est donc un acteur fondamental de ce qu’il est convenu de nommer « le dialogue » en matière d’orientation. »
D’une certaine manière j’y trouve un écho à la conclusion du rapport à propos de l’expérimentation du choix donné à la famille dans la décision d’orientation au collège[7]. Les auteurs du rapport écrivaient : « la bonne orientation, pour la plupart des équipes éducatives interrogées (NDLR : par les inspecteurs généraux) est celle qui correspond à la décision du conseil de classe ».
Autrement dit si le conseil au sens classique du terme de « donner un conseil », dire à quelqu’un ce qu’il devrait faire, peut se glisser dans le fonctionnement de la procédure d’orientation, le « tenir conseil » qui suppose une co-élaboration s’en trouve totalement exclue.
Bernard Desclaux
[1] D’après mes recherches sur le net, il semble bien que ce soit toujours le cas.
2] Les documents produits à l’o...
[3] D’après Serges Blanchard, Introduction au numéro de l’Orientation scolaire professionnelle consacré au Conseil en orientation, 2001. Le conseil en orientation : introduction / Serge Blanchard in L’Orientation Scolaire et Professionnelle, n°1 (mars 2000)
[4] Voir « Vers de nouvelles procédures ? » dans mon livre aux pages 164-165
5] Rôle du professeur principal d...
6] Bruno MAGLIULO Le professeur pr...
7] Suivi de l’expérimentation d...
Tous ces rappels historiques sont intéressant mais il suffit de constater l'état de division de notre société et la défiance qui y règne depuis au moins 25 ans, pour se dire que cela traduit un échec de notre système éducatif et plus spécialement des procédures d'orientation : La persistance de l'EMPREINTE scolaire est une évidence. Quelquefois positive, elle est trop souvent nuisible à la cohésion sociale.
Empreinte de l'école sur les destins scolaires et professionnels : bien sûr !
Emprise des déterminismes sociaux de classe ou de genre : bien entendu !
Il y aurait à écrire et à décrire cette empreinte et cette emprise, aujourd'hui plus que jamais...
Sans oublier le rôle ambigu des services et professionnels de l'orientation. Se complaire dans un entre-deux, comme l'ont fait les CIO, c'est aussi éviter de choisir et de s'engager.
Orientation scolaire vs Orientation professionnelle
Désolé si je reviens encore sur l'histoire....
Retour aux origines
Je rappelle simplement pour commencer que ce que j’appelle « procédures d’orientation scolaire » désigne une réglementation administrative et non l’ensemble des pratiques d’aide et d’accompagnement exercé par les différents personnels auprès des élèves et des familles.
Et si on remonte aux origines de la procédure, il s’agissait pour le ministère de réglementer le passage en classe supérieure dans les lycées. Est-ce que cela a changé ? La procédure concerne toujours le passage dans la/les classes supérieures. Et comme le rappelle André Caroff, la circulaire en question de 1890 s’est retrouvée reproduire quasiment dans les mêmes termes jusqu’en 1969. Et il ajoutait malicieusement que cette répétition montrait sans doute l’incertitude de son application réelle dans le fonctionnement des établissements qui devaient sans doute jouir d’une très grande autonomie quant à leur pouvoir sur les élèves et les familles en l’absence de réel contrôle extérieur. Lorsque les conseillers d’orientation professionnelle sont intégrés dans le secondaire, c’est par l’intégration totale au ministère de l’éducation nationale du secrétariat à l’enseignement technique (la formation professionnelle) dont ils dépendent. Et beaucoup se demandent bien à quoi ils vont servir. Il faudra attendre grosso modo les nouvelles procédures des années 70 pour être « intégrés » dans le fonctionnement de la procédure. C’est le professeur principal, fonction créé en 1959, qui est chargé de la procédure d’orientation.
Donc à quoi servent-ils ?
Dans cette période de l’entre-deux de l’OSP, pas encore totalement scolaire et toujours un peu professionnelle, à quoi servent les COSP par rapport à la procédure ? Pour l’essentiel, au sein des conseils de classe, le COSP avec ses tests collectifs permet au chef d’établissement et aux enseignants se trouver confortés dans leurs jugements. Lorsque je commence en septembre 78 en région parisienne, cette fonction « inconsciente » est toujours bien réelle. Une appréciation différente de celles des notes était très peu acceptée. Le référent sur lequel s’appuyer pour décider de l’orientation était bien le scolaire et ses notes.
Mais une autre fonction était bien utile. La fonction des conseillers d’OP de connecteur entre le primaire et le professionnel (apprentissage et scolaire) a permis à la procédure de fonctionner. A l’époque l’affectation par l’inspection académique n’était pas encore ni instituée ni opérationnelle. La procédure consistait à faire le tri entre ceux considérés comme « capables » de poursuivre la voie « normale », ceux qui étaient « autorisés à redoubler, et enfin ceux qui étaient rejetés de l’enseignement. Pour ceux-ci, aucune orientation professionnelle particulièrement n’est envisagée, le conseil n’est pas engagé à se prononcer sur cette question. Le Ministère pourtant très tôt a demandé aux chefs d’établissement de se préoccuper de ces élèves, mais ceci en dehors de la procédure. Il s’agit d’une attention « sociale » et non « administrative ». Ce seront donc les Centre d’OSP, les directeurs et les conseillers qui s’occuperont du « placement » de ces élèvent rejetés de l’enseignement « normal ». J’utilise bien le terme de « normal » car il s’agit bien de l’institution d’une norme sociale. Les foires aux dossiers seront organisées pendant très longtemps dans les centres. Et elles perdureront bien après la mise en place de l’affectation et ensuite de l’utilisation de la gestion par l’informatique. Aujourd’hui encore, des commissions physiques de distribution-choix de dossiers sont organisées pour des spécialités rares de formation. Pour ma part, jusqu’au début des années 80 je me rappelle d’une activité de la rentrée : décrocher son téléphone au CIO pour convaincre un chef d’établissement de prendre un élèves non-affecté.
Avec les nouvelles procédures d’orientation
Les nouvelles procédures renversent si on peut dire le sens des procédures. Elles s’ouvrent par la demande, par le choix d’orientation de la famille. L’institution ne fait que « répondre » à ces choix. Mais s’il y a choix, il y a alors nécessité d’informer. Le choix scolaire de la classe suivante doit être justifié par une motivation professionnelle qui, elle-même, doit s’appuyer sur une connaissance concernant cet horizon professionnel, ceci étant entendu dans une évolution profonde de la structuration de la société et du travail. Une bonne partie donc de l’activité des conseillers bascule dans la réponse à la demande d’information. Mais pour ce qui concerne la procédure d’orientation, les trois questions et réponses restent les mêmes. Le choix de la formation professionnelle se fait en dehors de la procédure d’orientation. C’est dans le dossier d’affectation, rempli par la famille, que la/les demandes se formulent (formation et établissement). Et il en est toujours ainsi à ce jour. A ce dossier est adjoint les bulletins scolaires, la décision d’orientation, et une appréciation ou un avis du chef d’établissement.
Donc
Je suis donc bien d’accord avec Jacques pour s’interroger sur cette orientation scolaire qui reste séparée d’un réel travail à propos de l’orientation tout au long de la vie, qu’elle soit professionnelle ou plus largement humaine tout simplement. Si le Parcours avenir et toutes les tentatives d’éducation à l’orientation qui se sont succédées en France, ne sont restés que des vœux pieux, c’est bien entre autre parce qu’elles nécessitaient la suppression des procédures d’orientation dans notre système scolaire.
Bernard Desclaux