Nous insisterons ici sur la part normale que doit prendre la dictée dans l'enseignement de la langue française, sur les abus qu'on peut en faire, sur la valeur de cet exercice considéré comme critérium du savoir d'un élève ou d'un aspirant au brevet de capacité.

Il ne faut pas oublier que la dictée, considérée en elle-même, et dans son objet propre, est un simple exercice d'orthographe. Or, l'orthographe n'est que l'application des règles qui concernent l'écriture des mots. La connaissance de la langue elle-même est quelque chose de bien plus complexe et de bien plus élevé. On peut jusqu'à un certain point savoir comment s'écrivent les mots d'une langue et se méprendre parfaitement sur le sens de ces mots, c'est-à-dire sur leur rapport avec l'idée qu'ils expriment ; ignorer surtout l'art de s'en servir soi-même pour rendre ses propres idées, ce qui est évidemment le but suprême qu'on doit se proposer quand on étudie une langue quelconque et, à, plus forte raison, sa langue maternelle.

(...) Sans doute cette dictée irréprochable suppose chez l'enfant, quant à l'orthographe d'usage, la connaissance au moins extérieure de beaucoup de mots, quant à l'orthographe de règles, la connaissance de ces règles mêmes et l'habitude de les appliquer. Et l'enfant n'est pas arrivé à ce résultat sans avoir passé par une gymnastique patiente et suivie, qui a certainement augmenté son acquis, aiguisé son esprit sur certains points, très délicats, parfois trop délicats peut-être.

Us et abus de la dictée

Mais tout cela n'est pas la vraie connaissance de la langue. Nous avons vu pour notre part plus d'un élève (...) indémontable sur la dictée, quelque subtile qu'elle pût être, et plus ou moins incapable de répondre par un développement suffisant à une question orale, de rédiger une lettre ou de composer un récit. C'est qu'il manquait à ceux-là ce fond même de connaissance qui repose non plus sur l'habitude de voir et de reproduire des mots écrits, sur les rapports qui peuvent modifier, suivant les cas, la représentation extérieure de la plupart d'entre eux, mais sur l'intelligence des idées que les mots expriment, sur les combinaisons et les développements possibles de ces idées, toutes choses que l'orthographe ne donne point, et pour l'acquisition desquelles il faut absolument recourir à des exercices tout autres, comme la conversation entre le maître et l'élève, comme la lecture, comme la composition, de quelque nature qu'elle soit, orale ou écrite.

Dans ces limites, mais dans ces limites seulement, l'exercice de la dictée n'en reste pas moins d'une utilité et d'une importance incontestable. S'il est absolument hors de doute qu'on ne sait pas sa langue quand on ne sait qu'en écrire les mots, il est hors de doute aussi qu'on ne la sait pas complètement quand on ne sait pas les écrire.

Il faut savoir l'orthographe, et il n'y a pas pour l'apprendre de meilleur exercice que la dictée. Lire et expliquer, s'il est besoin, à un enfant un texte suivi, qu'il puisse comprendre, qui soit de nature à l'intéresser et à l'instruire, en l'invitant à reproduire ce texte par écrit, en appelant son attention soit sur les règles générales de l'orthographe, soit sur tels ou tels cas particuliers pour lesquels on l'a choisi, c'est certainement la meilleure manière d'habituer ses yeux et son esprit à la représentation correcte des mots, à l'application concrète des données grammaticales.

L'auteur de l'article ajoute que le cours de langue à l'école ne doit pas consister en une suite de textes à copier et de leçons de grammaire à apprendre, s'alternant indéfiniment. Il appelle enfin à ne pas abuser de la dictée d'une autre façon : ne pas choisir d'enseigner l'orthographe des raffinés mais l'orthographe de tout le monde. Arrêtons de torturer la cervelle des élèves de l'école primaire avec des phrases baroques comme celle-ci : Les insensés ! ils se sont laissé mettre en désordre, ils se sont laissé envelopper et fait tailler en pièces sur les champs de batailles mêmes qu'ils avaient crus favoriser leurs manoeuvres, etc.

D'après ce que nous venons de dire, il sera facile de comprendre que nous ne soyons pas d'avis que, dans la plupart des examens scolaires (certificat d'études primaires, d'admission aux écoles normales, brevet de capacité), l'épreuve de la dictée soit regardée, sinon uniquement, au moins en premier lieu, comme une preuve indiscutable du savoir des candidats en ce qui concerne la langue maternelle.

Source : Charles Defodon, Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire, sous la direction de Ferdinand Buisson 1882-1893. Partie 1, Tome 1. Consultable en ligne sur gallica.bnf.fr.

À noter : Le Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire de Ferdinand Buisson propose un second article avec l'entrée Dictée (2è partie, tome 1). Rédigé par le professeur de lycée J. Dussouchet, il s'articule autour de trois questions pratiques et foncières qu'aujourd'hui encore se pose tout enseignant face à la dictée : comment faut-il dicter ? que faut-il dicter ? comment faut-il corriger la dictée ?

« À l’entrée en 6e, 27 % des enfants n’ont pas le niveau en français. La dégradation de l’orthographe est préoccupante », jugeait début janvier 2023 le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse Pap Ndiaye sur BFM TV. Afin de renforcer les savoirs fondamentaux des élèves de CM1, CM2 et 6è (cycle 3) pour faciliter leur entrée au collège, les instructions publiées le 12 janvier par le ministère de l’Éducation nationale au Bulletin officiel recommandent deux heures de rédaction et de lecture par jour, y compris à voix haute, pour les élèves du cycle 3.

Pour aller plus loin

Pour une vraie pédagogie de l'orthographe, par Jean-Pierre Jaffré, Café pédagogique, 24 janvier 2023

La dictée ne saurait être la solution, si elle ne s'intègre pas dans des dispositifs d'enseignement de la langue, par Luc Baptiste, Le Monde, 24 janvier 2023

La dictée laïque, l'orthographe au temps de Jules Ferry, Concordance des temps, par Jean-Noël Jeanneney et Patrick Cabanel, France Culture, 21 janvier 2023. Notamment ce mot de Patrick Cabanel : La dictée, c'est la sécularisation de la messe par un peuple sous la 3è République.

Trésor de la langue française informatisé (art. dictée) :

Exercice utilisé dans les classes pour enseigner aux élèves l'orthographe ou en vérifier la connaissance. Épreuve de dictée, dictée de contrôle. On m'avait placé dans l'étude des moyens (...) et c'était la coutume pour les élèves de cette catégorie qui étaient punis de subir, en forme de pensum, une espèce de dictée latine ou française épelée mot par mot (Paul Verlaine, Œuvres complètes, t. 5, Confessions, 1895, p. 46) :

On sursaute, Roubaud a parlé dans le silence : "Épreuve d'orthographe, Mesdemoiselles, veuillez écrire : je ne répète qu'une seule fois la phrase que je dicte". Il commence la dictée en se promenant dans la classe. Grand silence recueilli. Dame ! Les cinq sixièmes de ces petites jouent leur avenir. (Colette, Claudine à l'école, 1900, p. 195).