Les professeurs du lycée Salvador Allende ont écrit cette lettre ouverte que la presse locale a publiée fin mai ainsi que le Café pédagogique dans son édition du 2 juin :

«Ils s’appellent Gledis, Ali, Tsenzhin Lhakyi, Redi, Rakhib, Anfac, Raam, Sohil et Arshid et ils ont fui l’Afghanistan, la Syrie, le Tibet, la Somalie ou le Cambodge. Ils ont entre 16 et 18 ans. Ils sont arrivés en famille ou mineurs isolés. Ils étaient scolarisés dans notre établissement, le lycée Salvador Allende d’Hérouville Saint-Clair, sur une structure allophone-SAS depuis le 1er septembre et fin janvier. Ils étaient assidus, impliqués dans de multiples projets (projet « Regards » avec la Région Normandie, ateliers de conversation avec les autres élèves du lycée).

»Le 12 mai dernier, leur famille ou leurs éducateurs ont reçu par mail une notification de sortie du dispositif allophone-SAS, écrit le collectif des personnels et enseignants du lycée. Les professeurs ajoutent : Nous savons que le dispositif allophone-SAS n’a pas vocation à garder les élèves toute une année scolaire. L’institution leur offre officiellement 8 semaines pour apprendre le français et construire un projet d’orientation. D’ailleurs plusieurs élèves ont quitté la structure en cours d’année pour partir vers des formations professionnelles.

»Mais dans le cas présent, pourquoi choisir de faire sortir du système scolaire fin mai neuf élèves, les neuf élèves repérés en commission comme les plus fragiles ? Quelle suite d’études leur propose-t-on ? L’institution les invite à se tourner vers la Mission locale, dédiée aux élèves décrocheurs. Or, ils sont tout sauf décrocheurs.

»Nous, enseignants et personnels, avons exprimé notre incompréhension auprès de notre cheffe d’établissement. Elle-même a demandé aux Services Départementaux de l’Éducation Nationale chargés de l’Organisation Scolaire et de la Scolarité une prolongation de la scolarisation de ces neuf élèves jusqu’à la fin de l’année scolaire pour les accompagner et pour sécuriser un peu plus leur parcours.

»Mais la décision était prise. Obligation de sortie. Une décision d’autant plus incompréhensible que les services académiques ont bien précisé qu’aucun autre élève ne serait affecté sur le dispositif SAS du lycée avant la fin de l’année. Notre institution n’a pas autorisé ces jeunes à rester dans notre établissement scolaire les quelques semaines qui restent jusqu’à la fin de cette année scolaire.

»Neuf élèves de 16 à 18 ans sont ainsi sortis de notre établissement scolaire ce vendredi 26 mai, à quelques semaines de la fin d’année. Des élèves assidus, à une période de l’année où cette qualité n’est pas si fréquente. Des élèves en voie d’intégration. Cette décision les prive du contact avec la langue française, des liens sociaux qu’ils ont pu construire avec les autres élèves du groupe et/ou du lycée. Ils sont rayés des listes, et nous ne sommes pas certains qu’ils aient la possibilité de saisir leurs vœux d’orientation sur Affelnet pour la poursuite de leur formation.

»Comment pouvons-nous accepter que ce soit les élèves les plus fragiles, dans les situations les plus précaires, qui soient ainsi projetés hors du système scolaire ? Est-ce là la scolarisation que nous offrons aux mineurs étrangers dans notre académie ? Quelle image du vivre-ensemble pour les autres élèves de l’établissement ? Où sont les valeurs de la République que notre institution enseigne et qu’elle se doit d’incarner ?

»Nous condamnons la violence de notre institution à l’égard des plus fragiles : c’est notre devoir d’enseignants attachés aux valeurs de la République, attachés à notre établissement qui a toujours eu pour objectif d’accueillir et intégrer des publics variés. C’est notre devoir de citoyens et citoyennes, notre devoir d’hommes et de femmes ». ■

Commentaire

Est-ce sérieux ? Vous avez bien lu : il ne s'agit même pas d'un placet préfectoral. Non, d'un tout petit acte ad-mini-stratif tristement ordinaire de la part de la si zélée ad-mini-stration locale de l'éducation nationale. Et tellement lourd de conséquences. Au moment même où le ministre de l'éducation nationale écrit un courrier aux proviseurs et les engage, bien tardivement et à l'insu de la vie réelle des lycées en fin d'année scolaire, à retarder les conseils de classe afin que, croit-il, les élèves puissent fréquenter le lycée jusqu'au 7 juillet, son ad-mini-stration renvoie brutalement à la rue dès le 26 mai des élèves assidus, attentifs et si désireux d'apprendre la langue et la culture françaises ! La Mission locale, à laquelle on les a expédiés sans autre forme de procès et sans aucune aide, diagnostiquera probablement la nécessité, pour ces jeunes, de parfaire leur apprentissage de la langue française avec des professeurs qualifiés, mais pas avant septembre ou octobre... Honneur aux professeurs, chefs d'établissements, personnels d'éducation et services sociaux du lycée Salvador Allende qui, malmenés par une ad-mini-stration régionale et départementale aux ordres, tiennent, depuis l'ouverture du lycée en 1980, la barre des valeurs de la République, et notamment le troisième élément de la devise républicaine, la Fraternité !