L'État français condamné
Par Jacques Vauloup le mardi 23 avril 2019, 02:58 - Nos astres errants - Lien permanent
Le 28 février 2019, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné l'Etat français pour traitement dégradant envers un mineur afghan qui vivait dans la jungle de Calais de 2015 à 2017.
La question des jeunes mineurs non accompagnés touche de nombreux pays, et la France en particulier. Quels sont leurs droits ? Comment les protège-t-on ? N'assiste-t-on pas à un durcissement des conditions d'accueil des mineurs étrangers ?
Si oui, pourquoi la France, se réclamant la patrie des droits de l'Homme, n'applique-t-elle pas ses beaux principes et ses valeurs tutélaires ? Cette décision place désormais Paris dans le viseur de la Commission européenne des droits de l'Homme pour sa mauvaise prise en charge des mineurs non accompagnés étrangers.
À la mi-février 2019, un collectif de dix-neuf organisations, dont l’Unicef et Médecins du monde, contestait le décret gouvernemental (n°2019-57) devant le Conseil d’État.
Des enfants mineurs isolés condamnés à errer
Issu de la loi asile-immigration et entré en vigueur le 31 janvier, il permet aux préfectures de vérifier la minorité des mineurs nouvellement arrivés et crée un fichier recensant ces jeunes. Le collectif craint que ce système ne soit un moyen pour l’État de multiplier les refus au détriment de la « protection de l’intérêt de l’enfant ».
D'après elles, ce décret constitue un élément de la stratégie de refoulement des migrants adultes qui pourrait entraîner des enfants dans son sillage. Utilisés depuis quelques années pour déterminer l’âge des mineurs, les tests osseux, à la fiabilité non éprouvée, sont remis en cause par de nombreuses organisations non gouvernementales de défense des droits des enfants.
Pourquoi soupçonne-t-on les « mineurs non-accompagnés » de vouloir « venir profiter des avantages sociaux » plutôt que de les voir comme des « individus vulnérables à protéger en urgence » ?
Sadio Traoré a dix-huit ans. Ce jeune Malien arrivé il y a deux ans en France a été placé en centre de rétention le mercredi 3 avril 2019 en vue d'être expulsé. La situation écœure fortement la communauté éducative, car Sadio Traoré devait prochainement passer son CAP de maçonnerie au Mans. Actuellement inscrit au lycée Funay-Hélène-Boucher, il avait débuté sa formation par alternance au sein du CFA du bâtiment du Ribay à la rentrée 2017.
Mais en février, il a été obligé d'arrêter sa formation et de rompre son contrat avec son employeur après la décision de l'administration préfectorale de ne pas renouveler son autorisation de travail. Afin de poursuivre sa formation de maçonnerie, le jeune Malien s'est alors inscrit au lycée Funay-Hélène-Boucher sous statut d'élève, sans apprentissage. « C'était un élève très appliqué avec un bon niveau en atelier car il était très motivé », explique l'un de ses formateurs du CFA.
Cette situation révolte Fabrice Dugué (54 ans), patron d'une entreprise de maçonnerie à Maresché (Nord-Sarthe) qui l'avait pris en stage puis en alternance : « Ça me dégoûte. On ne lui laisse même pas la chance d'obtenir son diplôme. En plus, j'avais l'intention de le garder dans l'entreprise après. Je m'engage encore à le faire ». Il a envoyé un courrier au préfet de la Sarthe pour demander l'annulation de l'expulsion. Il y dénonce une « décision injuste » et avoue sa « honte d'être un patron français ». Sous la pression des médias, la préfecture de la Sarthe a levé la détention de Sadio, qui n'en reste pas moins sous le risque d'une expulsion du territoire français.
Quand un artisan-maçon dit sa honte d'être un patron français dans ces circonstances, quand des professeurs et formateurs compétents, valeureux et courageux disent leur écoeurement devant de telles pratiques, l'Etat français et ses responsables ne devraient-ils pas ouvrir leurs yeux sur leur incompétence et leur manque de courage à affronter une opinion publique frileuse et repliée sur elle-même ? ■
Pour aller plus loin dans l'indignation
Rozenczveig J.-P., Rendre justice aux enfants, un juge témoigne, Seuil, 2018
Ce billet a été modifié le 4 novembre 2019 puis le 7 janvier 2020