En France, la loi de la République, renforcée par la Convention internationale des droits de l'enfant (1989), oblige l'Etat à scolariser sans délai ces enfants au plus près de leur lieu de vie et du niveau scolaire correspondant à leur groupe d'âge. Elle astreint, de ce fait, l'Education nationale à proposer des modules intensifs d'apprentissage de la langue française et, autant que nécessaire, des dispositifs d'intégration spécifiques.

Aujourd'hui, les questions d’apprentissage et d’adaptation posées par l'arrivée des migrants dans les écoles se posent-elles de manière différente que pour les précédentes générations ? Comment répondre aux interrogations des enfants non migrants sur ces nouveaux arrivants et leurs conditions de vie, sur les migrations ? Dans l'émission de France culture du 10 novembre, on évoque les parcours migratoires enfantins et adolescents, à un moment où l’individu grandit et s’éduque. Ces destins sont racontés à travers des travaux de recherches, des documentaires mais également par la création littéraire et la fiction. Et même si l'émission se garde bien de poser la question politique et financière, celle-ci est sous-jacente : l'Etat met-il suffisamment de moyens pour, à l'Education nationale, s'occuper des enfants échoués sur ses rivages ?

Professeur d'histoire-géographie et formateur au Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (CASNAV) dans le département de l'Essonne, Marco Brighenti indique qu'on parle d'élèves allophones depuis 2012, car ce ne sont plus seulement des enfants, mais aussi des élèves à part entière, souvent polyglottes, qu'on intègre dans des classes et qui, du fait de leur parcours, peuvent apporter beaucoup dans un groupe-classe dès lors que l'enseignant.e n'est pas laissé.e seul.e face à cette question. L'école, le collège, le lycée apportent non seulement l'apprentissage de la langue, mais aussi l'intégration subjective et sociale de jeunes et de familles aux parcours de vie d'une violence souvent inouïe.

L'éducation nationale met-elle suffisamment de moyens et d'énergie pour appuyer le travail indispensable et largement méconnu des CASNAV ? On se prend à en douter quand on constate la persistance de délais de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois entre l'arrivée des jeunes dans un lieu de vie et leur intégration effective dans un dispositif dédié ou dans une classe ordinaire. Des mois après leur arrivée, nombre de jeunes migrants restent déboussolés, désorientés, physiquement et psychiquement atteints par toutes les histoires et les aventures, la plupart du temps très douloureuses, qui leur sont arrivées. Tel ce témoignage de l'un d'entre eux en pages 231-232 de l'ouvrage Voir venir, écrire l'hospitalité, de Mathieu Potte-Bonneville et Marie Cosnay : Je ne sais plus bien les histoires que j'ai. Ni où je suis. Je crois que je suis ici, mais je suis là-bas, à des endroits différents en même temps. Bien sûr que ça crée une angoisse. Mais ça ne fait pas que de l'angoisse, ou alors elle est teintée de plaisir. Je garde ça pour moi, aussi. Comme une richesse. Une petite oeuvre. Si je ne gardais pas quelque chose en silence, je me sentirais un peu mort, un peu plus mort. A mettre au placard sa morale et son honneur en ne volant pas au secours des personnes noires qui se noient en Méditerranée, l'Europe est devenue criminelle. Je ne comprends pas ce qui se passe, disent de nombreux jeunes mineurs tant leur incompréhension est grande des procédures ad-mini-stratives permanentes et humiliantes : papiers administratifs sans cesse à faire valider, évaluation de minorité incompréhensible, ordre de reconduite aux frontières quand en troisième et dernière année de CAP on vous empêche non seulement de passer l'examen mais aussi d'exercer le métier dans lequel vous réussissez… Malgré le déshonneur consommé de l'Etat et un manque flagrant de soutien de sa part, nombre d'enseignants, fonctionnaires de cet Etat qui a failli, accueillent des migrants dans leur classe, font le pari de les élever vers la langue française et les autres apprentissages, et de les intégrer durablement dans notre société rejetante, inhospitalière. Contre vents et marées. Chapeau les enseignants !

Ce billet a été modifié le 7 janvier 2020 puis le 12 janvier 2020

Pour aller plus loin

L'hospitalité, revue Diversité, Canopé, n°196, septembre-décembre 2019

Macé M. (2017), Sidérer, considérer, Migrants en France, Verdier

Fondation Jean-Jaurès (2019), Les enfants d'immigrés à l'école, l'origine sociale des inégalités scolaires (étude)