De très grands auteurs nous montrent le chemin ! Mais là, pour une fois, ne procrastinons pas ! Commençons tout de suite !

En effet, le rapport au temps de l'homme post-moderne est totalement déboussolé, désynchronisé, détemporalisé. La société de l'accélération permanente juge, jauge, évalue constamment chaque être humain sur sa capacité d'accélération (La vitesse de libération, Virilio, 1995) (Le grand accélérateur, Virilio, 2010) (Accélération, une critique sociale du temps, Rosa, 2010) et d'adaptation, i.e. sur sa rapidité, sa réactivité, sa proactivité… Et ce, aussi bien dans la vie privée que dans la vie professionnelle (Le culte de l'urgence, la société malade du temps, Aubert, 2009).

Quand l'urgence (réelle ou supposée), l'accélération (indispensable parfois, souvent délétère), la hâte (qui n'est qu'une tentative de combler des lacunes dans l'anticipation, dans la préparation d'un projet, d'une action, d'une journée, d'une réunion), ou encore la précipitation (si proche du précipice) cesseront-elles de tourmenter ainsi nos contemporains ? Pourquoi donnons-nous le spectacle d'un individu lancé sur un tapis roulant qui sans cesse se dérobe à nos pieds et nous laisse ainsi la désagréable impression de ne pas avancer, de piétiner, de faire du surplace ?

Et si nous faisions l'éloge de la ''lenteur'', du ''retard'', de l'ajournement, de l'atermoiement ? Le monde cesserait-il de tourner pour autant ? Nos problèmes de formation, de santé, de couple, d'école, de travail, d'argent, etc. n'auraient-ils pas subrepticement, imperceptiblement, et pour ainsi dire par enchantement, ou par le temps qui passe, la bonne idée de se résoudre seuls, ou, mieux encore, n'y aurait-il pas une probabilité non nulle qu'ils fussent résolus par quelqu'un d'autre que nous ? Alors, voyons, soyons un peu raisonnables : à bien y regarder, entre soyez proactif ! (injonction contemporaine de référence, et qui frise, pour beaucoup, l'overdose) et soyez procrastinateur !, le bien-être, la bienveillance, le vivre ensemble, la sérénité, l'harmonie ne sont peut-être pas là où on nous rabâche qu'elles se trouvent ! Amiel nous montre la voie : Les atermoyeurs, procrastinateurs et lambins de mon acabit sont justement de ceux qui ne finissent rien et même ne commencent pas davantage ( Journal, 1866, p. 455).

En résistance à la société de l'accélération, le mouvement du slow, qui semble connaître un certain degré d'estime en ce moment, peut-il être une solution ? Slow food, slow city, slow production, slow management, slow parenting, slow design, slow science, slow transport, slow orientation… Pourquoi pas ? Festina lente : Hâte-toi lentement. Ce fut la devise de l'empereur Auguste, des Médicis et d'une entreprise d'horlogerie suisse… La Fontaine dit de la tortue, dans Le Lièvre et la Tortue : « Elle se hâte avec lenteur » et Boileau applique cet adage au travail de l'écrivain : Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage / Polissez-le sans cesse et le repolissez / Ajoutez quelquefois et souvent effacez (Art poétique, I). Belle devise pour nos temps désynchronisés. C'est d'accord ; je commence après-demain !

Ce billet a été modifié le 19 janvier 2020

Pour aller plus loin

Perry J. (2018), La procrastination, éditions Autrement

Sansot P. (2000), Du bon usage de la lenteur, Payot et Rivages

Belin B., Carlotti B. (2019), Lentement, You tube, durée : 4'30''