Qu'a-t-on fait de la psychopédagogie de l'orientation ? 3/3 (CIO 78)
Par Jacques Vauloup le vendredi 27 décembre 2019, 05:52 - S'orienter - Devenir - Lien permanent
Dans les chapitres IV et V de ''Psychopédagogie de l'orientation professionnelle'' (1957), Antoine Léon (1921-1998) présente les
objectifs éducatifs
, ainsi que les formes et les moyens pédagogiques
d'une psychopédagogie de l'orientation professionnelle que l'auteur souhaitait développer à l'école primaire et à l'école professionnelle. Qu'a-t-on fait, en France, de cette utopie concrète ?
EXTRAITS DU CHAPITRE III. LES OBJECTIFS ÉDUCATIFS ET LES FORMES PÉDAGOGIQUES DE L’ORIENTATION PROFESSIONNELLE
Envisagée dans une perspective éducative, l’orientation professionnelle doit s’efforcer de répondre au problème ainsi posé : « Comment accroître la liberté de choix professionnel en formant les goûts de l’enfant ? Comment faire bénéficier l’adolescent de tous les moyens de formation ou de perfectionnement que sa situation sociale permet d’envisager ? » Il s’agira de faire participer activement les adolescents à l’élaboration de leurs projets, de les informer pour qu’ils puissent élargir leur horizon professionnel et choisir leur métier d’une manière plus réfléchie, plus motivée. En dissipant les préjugés favorables ou défavorables attachés par l’enfant ou la famille à certaines branches professionnelles, on contribuera à accroître la plasticité des goûts professionnels et à permettre à l’élève de répondre d’une manière plus adaptée aux problèmes que pose la répartition des apprentis dans un établissement de formation professionnelle.
(...) Si la mise en œuvre des moyens pédagogiques de l’orientation professionnelle doit aider l’adolescent à choisir son métier en connaissance de cause et à faire face, ultérieurement, aux difficultés de la vie professionnelle, elle doit aussi l’inciter à mieux s‘appliquer dans son travail scolaire actuel. L’étude des matières dites d’enseignement général ne sera plus jugée comme une somme d’efforts gratuits n’ayant aucune répercussion sur la vie professionnelle future, mais devra désormais être considérée comme indispensable à tous ceux qui ont à cœur d’assumer dignement et efficacement leurs responsabilités de travailler et de citoyen.
EXTRAITS DU CHAPITRE IV. LES MOYENS PÉDAGOGIQUES DE L’ORIENTATION PROFESSIONNELLE
Sommaire :
La préparation directe de l'enfant à la vie professionnelle
L'aménagement des travaux manuels
Les films et les visites d'établissements
L'information des maîtres, de la famille et du grand public
L'intégration des moyens d'information dans un programme d'ensemble : leçons sur les métiers, leçons sur la formation et la vie professionnelles
Au début de l'année scolaire, les instituteurs des classes de fin d'études primaires et les conseillers de l'arrondissement se réunissent pour analyser les résultats de l'expérience conduite l'année précédente et pour élaborer le programme de travail de l'année en cours. Les parents des élèves intéressés sont ensuite convoqués par l'intermédiaire de l'école à une réunion d'information animée par un conseiller d'orientation professionnelle et illustrée par la projection de films. Ils sont tenus au courant du programme d'information professionnelle qui se déroulera dans les classes de leurs garçons et sont invités à apporter toute leur aide à la réalisation de ce programme.
CONCLUSION
Afin d'apprécier valablement la portée et les limites des propositions qui viennent d'être faites, il n'est pas inutile de rappeler, tout d'abord, que l'application de moyens pédagogiques judicieux ne saurait, à elle seule, résoudre les problèmes de l'orientation professionnelle. Ceux-ci sont dominés par des impératifs économiques et sociaux dont l'importance apparaît encore plus nettement lorsqu'on envisage − ce qui n'a pu être fait dans cet ouvrage − l'orientation professionnelle des jeunes filles ou celles des adolescents appartenant aux secteurs ruraux. Le développement des moyens de formation professionnelle et l'élargissement des possibilités d'emploi ou de promotion conditionnent l'efficacité de toute mesure d'orientation professionnelle.
(...) Mais si l'information a pour but, en particulier, de mobiliser l'initiative et la volonté de travail des adolescents, de développer le sens des responsabilités chez les élèves des classes de fin d'études primaires et des centres d'apprentissage, cet objectif ne peut être atteint que si l'éducateur est en mesure d'ouvrir aux jeunes les voies d'un avenir chargé de promesses. Cette tâche est rendue malaisée par l'incertitude des débouchés professionnels et par les conditions difficiles faites à la jeunesse au travail. Le processus d'autodétermination de l'adolescent s'en trouve ainsi faussé, ou tout au moins limité dans ses effets. Nous croyons, néanmoins, qu'une meilleure utilisation des ressources pédagogiques dans le cadre familial ou scolaire doit faciliter l'adaptation de l'adolescent à l'apprentissage du métier et à la vie professionnelle. Aussi avons-nous présenté un certain nombre de propositions qui visent à axer les interventions du conseiller dans une perspective éducative et à déplacer, de ce fait, le centre de gravité des opérations d'orientation professionnelle du cabinet de consultation vers l'école.
(...) Lorsqu'on se propose de résoudre un cas d'orientation professionnelle donné, doit-on, à partir du bilan des connaissances scolaires, des aptitudes mesurées par les tests, des dispositions caractérielles et des goûts exprimés par l'enfant, procéder à un aiguillage scolaire ou professionnel qui permette la meilleure utilisation immédiate de ce bilan ? Doit-on, au contraire, rechercher les moyens propres à développer au maximum les capacités individuelles et assurer ainsi les conditions d'un choix plus libre et d'une meilleure adaptation à l'évolution et à la diversité du milieu professionnel ? On ne peut répondre à un tel problème sans tenir compte à la fois de la structure scolaire et de l'état de nos connaissances psychopédagogiques.
(...) Qu'il s'agisse soit de la création, par un enseignement général ouverte sur la vie, des conditions d'un choix professionnel libre, soit de la résolution de cas d'inadaptation à l'apprentissage, soit encore de la pédagogie des métiers, la formation de «chaînons intermédiaires», dont l'absence crée souvent l'illusion d'une incapacité permanente, doit assurer l'épanouissement incessant de l'individu, le développement continu de ses moyens d'expression. La réalisation d'un tel objectif suppose, entre autres conditions, que certains aspects de la psychopédagogie de l'orientation professionnelle soient repris et approfondis dans une psychopédagogie de l'apprentissage du métier.
L'intervention du conseiller dans ce nouveau secteur de la préparation de l'adolescent à la vie professionnelle contribuerait à réaliser l'idéal d'une orientation professionnelle continue. Elle faciliterait ainsi l'autodétermination d'individus capables de s'adapter au monde du travail en participant consciemment aux transformations techniques et sociales qu'impose tout progrès
.
N'en déplaise aux arguments localistes, régionalistes, utilitaristes et économistes, apprendre à s'orienter, ça s'apprend d'abord à l'école, grâce à laquelle, en 2019, 80% environ d'une génération est scolarisée à l'âge de 18 ans. C'est ce qu'avait compris Antoine Léon il y a plus de soixante ans, quand 5% seulement d'une génération obtenait le Bac !
Après l'engouement temporaire et décontextualisé pour l'Activation du développement personnel et professionnel (ADVP, années 1980, d'origine québécoise, rappelons-le) et afin d'éviter que l'expérience du Parcours avenir (depuis la rentrée scolaire 2015-2016) ne se solde par autant d'amères désillusions que celles du Temps scolaire pour l'information et l'orientation (fin des années 1980), du Projet personnel de l'élève (1989-1996), de l'Education à l'orientation (1996-2008), de la Découverte professionnelle (2005-2015), des Parcours de découverte des métiers et des formations (2008-2013), ou encore des imprononçables Parcours individuels d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP)(2013-2015), il y faudra plus et mieux que des incantations ad-mini-stratives jacobines ou des « coups de com' » passagers.
Où sont les stratégies de formation initiale et continue des acteurs (professeurs, chefs d'établissement, psychologues) ? Comment s'assure-t-on que les collégien.n.e.s de 14-15 ans et les lycéen.n.e.s de 17-18 ans bénéficient des préparations idoines et décentes ? Où sont les productions qui l'attestent ? Où sont les indications précises et les aides données aux CIO pour les légitimer dans leur action ? Et bientôt cinq ans après le lancement du Parcours avenir, où est le bilan d'étape de sa mise en oeuvre effective ?
Texte intégral en annexes