A ce jour, plus aucun navire de sauvetage n'est présent en Méditerranée. La Libye n’est pas un lieu sûr. Lors d'un débat qui s’est déroulé en commission le 27 avril, une majorité de députés européens a demandé que la coopération entre l’Union européenne et les garde-côtes libyens cesse.

Pendant ce temps, face aux dangers subis par les migrants résidant en France, des praticiennes et praticiens du care, du soin, de l'éducation, de l'école, de la santé, du social, de la psychologie ne baissent pas les bras, inventent et construisent pas à pas, au ras du sol, une approche transculturelle ou interculturelle entée sur le respect de l'autre et l'engagement quotidien.

Dans la présentation de l'édition de mars 2020 du Journal des psychologues, Patrick Conrath et M. Ouezzani, posent les enjeux d'une clinique de la migration centrée sur l'interculturel :

Que l’on pense inter ou trans-culturel, que l’on réfléchisse à l’autre, à la fois semblable et différent, le rapport avec cet autre, non issu de notre culture d’origine, ne cesse de nous hanter. Et transformer cette inquiétante étrangeté en un rapport familier en prélevant, voire en partageant, notre fond commun d’humanité au-delà de ce qui nous sépare, voilà l’épreuve à laquelle chacun est convoqué. Depuis toujours, mais encore plus aujourd’hui, réinventer l’accueil de celui qui nous semble si étranger est devenu une nécessité, d’autant que l’autre dérange nos certitudes, il peut même parfois ébranler notre sentiment – imaginaire – de cohésion ou d’unité.

Aussi, la présence et l’accueil de l’étranger aujourd’hui au regard des bouleversements internationaux nécessitent une nouvelle façon de penser, une véritable pensée de l’altérité. Ce renouvellement dès lors ne va pas de soi, et il reste encore fort à faire si l’on considère les récents événements concernant les épidémies mondialisées, tel le coronavirus, renforçant l’idée d’un ailleurs menaçant, effractant et contaminant, rappelant que le rejet de l’autre peut lui aussi se propager rapidement. Ou, encore, l’impact d’une économie mondialisée, qui crée des désordres politico-économiques sans précédent, et qui poussent certains à ériger des frontières nationales bien plus étanches qu’auparavant plutôt que de créer de nouvelles conditions d’accueil de l’autre en souffrance.

La psychologie interculturelle naît ainsi dans un contexte d’évolution à la fois sociale et politique. Cette évolution progressive a permis à la fois de mieux comprendre la nécessité d’accueillir l’autre avec une attitude ouverte sur sa propre réalité, sans plaquer obligatoirement nos propres manières de penser, de juger ou d’agir. Cependant, l’évolution mondiale et politique au regard des médias, a souvent créé, pour le pire, un amalgame entre les demandeurs d’asile, les émigrés volontaires et les exilés, fuyant les violences de tout ordre et les conditions terribles de survie de leurs lieux d’origine. C’est pourquoi la démarche de soin, et plus généralement le regard actif et responsable que peut porter le psychologue sur le sujet, qu’il soit d’ici, d’ailleurs ou des deux, ne peut s’affranchir de considérer chaque sujet comme singulier. Cette singularité passe par une compréhension de l’autre (...) qui ne réduit pas son existence au simple regard, et surtout au regard porté sur son corps.

La culture, dit Olivier Douville, « c’est ce qui nous permet de tenir debout dans un lien social… c’est ce qui fait qu’on n’est pas réduit à son corps ». Or, réduire le sujet à sa condition de n’être qu’un corps, c’est bien un des premiers signes de la ségrégation, certainement celui qui a poussé les autorités judiciaires à ordonner des examens osseux pour déterminer si les jeunes réfugiés peuvent bénéficier ou non de l’aide sociale à l’enfance ! Alors, les corps il faut, certes, s’en occuper, pour le minimum vital et la dignité, mais aussi et surtout pour que le sujet y prenne appui afin qu’advienne une parole entendable, partageable. À ce prix, l’interculturalité prend tout son sens, dans un dialogue où chacun peut retrouver et échanger son humanité, de sa place, en lien avec celle de l’autre.

Pour aller plus loin

Moro M.-R. (2020), Guide de psychothérapie transculturelle, soigner les enfants et les adolescents, éditions Inpress

Transculturel, le blog de Marie-Rose Moro, psychiatre, professeure des universités, directrice de la maison des adolescents de Solenn, Hôpital Cochin, Paris