Pour s’orienter soi-même et pour accompagner les autres, il faut faire avec cette dimension désormais anthropologique, l'incertitude. Les centres d'orientation spécialisés tels qu’ils ont été pensés au début du siècle passé ont-ils encore un sens encore aujourd’hui s’ils demeurent tels qu’ils étaient, suspendus dans le temps qui passe ? De la même façon, les professionnel.l.e.s de l’orientation ont-ils encore une raison d’être s’ils conservent les pratiques d’autrefois ? Dans un monde marqué par la communication, celui ou celle qui ne sait pas parler de lui ou d’elle finit par disparaître. Changer ou disparaître, c’est finalement assez banal, ou bien disparaître pour changer. C’est la vie, en somme.

Orienter, mission presque impossible

Plutôt que de proposer la nième interprétation sur l'impossibilité, selon Freüd, des métiers du triptyque éduquer-gouverner-soigner, dont font partie les métiers de la psychologie, Annick Soubaï, fait un pas de côté salutaire : Les conseillers d’orientation se sont souvent laissés comparer à des voyants et autres devins dans le souci qu’ont leurs clients de se voir dévoiler une future réussite dans telle formation ou telle carrière. Ils prennent aussi volontiers l’habit de l’avocat quand il s’agit de défendre les intérêts d’un élève lors d’un conseil de classe ou devant une commission d’appel. (...) En ces temps incertains où le monde vacille, pourquoi ne pas se mettre dans la peau d’agents secrets pour répondre à notre Mission impossible ?

Créée en 1966, immortalisée par la musique de Lalo Schifrin avec son entrée en matière au magnéto « Bonjour, Monsieur Phelps. votre mission, si toutefois vous l'acceptez... », la série américaine Mission impossible (Bruce Geller) met en scène une équipe d'agents secrets américains, membres de l'Impossible mission force (IMF) abonnés aux les missions délicates. Elle intervient dans des pays fictifs d'Amérique latine ou d'Europe de l'Est. Coups d'État, déstabilisation, désinformation, manipulations, complots, substitutions, infiltrations, contre-révolutions : rien ne les arrête ; tout ceci, en contexte de Guerre froide où ils doivent sauvegarder les intérêts des États-Unis. Chacun de ces espions est expert dans un domaine : maquillage, déguisements, mise au point de matériel très sophistiqué. Leurs moyens sont sophistiqués : sosies, acteurs, poupées de cire, fausse monnaie, mises en scène, électronique miniaturisée, imitation, déguisements, chirurgie esthétique. Le suspens entretenu vise à faire craindre aux téléspectateurs que ces agents secrets, souvent infiltrés ne soient démasqués. Ils sont rituellement prévenus : « Si vous ou l'un de vos agents était capturé ou tué, le Département d'État nierait avoir eu connaissance de vos agissements. Bonne chance, Jim. »

Toute ressemblance avec des personnages connus ne saurait être que purement fortuite et ne relevant que de l'imagination du spectateur ou de la spectatrice...

Orienter, c’est guider en donnant du sens

Qu'est-ce, au fond, qu'« orienter» ? Quelles images ? Autant de chemins cheminant dans d’épaisses forêts aux grands arbres, succédant à de petits sentiers paisibles serpentant dans la campagne, et autres sentiers côtiers, carrefours, poteaux indicateurs, bateaux entourés d’oiseaux crieurs, vitrines de boutique dans laquelle se réverbère une image. Autant de paysages marins, urbains, ruraux, montagnards qui inscrivent l’orientation dans un espace et qui disent qu’orienter, c’est indiquer un chemin, c’est donner un sens. Mais on peut y voir aussi des poupées russes, des noeuds entremêlés, des réglisses qui tournent en rond, comme certaines questions, situations ou problématiques d'orientation...

S'orienter, grâce aux professionnels et professionnelles des CIO aussi

Dans les CIO, dans les écoles, puis dans les collèges et les lycées, pendant longtemps, disons jusque dans les années 1980-1990 pour situer les pratiques, on a informé, on a testé pour que chacun soit bien aiguillé. Puis, avec la deuxième massification scolaire de la fin du XXème siècle, l'ère de l'orientation éducative est advenu, la détection des aptitudes fait place partout au développement des compétences et au conseil en parcours et en évolution professionnelle, le sujet est sommé de trouver en lui, en elle, les ressources pour s'orienter à l'école et... tout au long de la vie. Exit le projet.

Annick Soubaï : La rationalité ne suffit plus à résoudre les problèmes posés par les organisations : l’aléatoire, le chaos. L’intuition est de mise. Il en est de l’école comme de l’entreprise, les établissements s’autonomisent. La Loi de programmation financière demande des comptes. Et l’on cherche toujours à organiser la circulation des personnes. De l’orientation, tout le monde s’occupe. La forêt est devenue jungle. L’orientation, c’est l’affaire de tous (Odry, 2006). Et désormais, les conseillers d'orientation-psychologues peuvent légitimement se poser la question de ce qu’ils ont à faire dans cette affaire. Du passé, il reste les tests, que personne ne leur envie, les avis pour les commissions, que personne ne leur conteste, leur expertise, que tout le monde recherche. (...) Et encore : Désormais, il faut donc définir sa place en précisant son champ d’action, en rendant compte de ses actions. Il faut se rendre visible. Se faire connaître, pour se faire reconnaître. Il faut travailler les messages que l’on diffuse, les rendre intelligibles. Présenter des programmes d’activités argumentés, étayés, rédiger des fiches actions, des comptes rendus de séances… Se faire reconnaître suppose que l’on s’appuie sur une communication. Quelles images choisir, quels symboles de l’orientation, quels mots pour dire ce que l’on fait ? Nommer, c’est exister. Nommer, c’est définir, c’est dire, c’est poser un acte de légitimation.

Lors des 59èmes journées nationales ACOP-France 2010 au Mans, sur le thème Conseiller en temps de crises et d'incertitudes, les débats avaient été ouverts par le professeur Guichard sur le thème ''Qu'est-ce que s'orienter aujourd'hui ?'' Au Mans également, Jean Guichard avait très clairement posé aux gouvernants la question Service public d'orientation : choisir l'Etat ou la société civile ?

Bien sûr, sauver ce qu'il reste, ranger ses affaires et ses fichiers avant déménagement ou disparition corps et biens (combien d'archives des CIO ont-elles disparu ? combien vont-elles disparaître à courte échéance ?) Bien sûr, nommer, décrire, formuler, travailler encore et toujours les messages, présenter des programmes d’activités argumentés, étayés, rédiger des fiches actions, des comptes rendus de séances, des protocoles : pourquoi les prestations, les protocoles d'intervention des psychologues de l'éducation nationales sont-ils absents de la Toile ? Pourquoi n'y voit-on rien, ou si peu, sur l'entretien d'orientation, qui constitue pourtant la pratique la plus commune en orientation ? Et pourquoi les corps territoriaux intermédiaires ainsi que les corps centraux de la hiérarchie ad-mini-strative restent-ils muets, impotents, désinvestis, absents, entravés ? Un silence étourdissant... Bonne chance, Jim !

Pour aller plus loin

Soubaï A., Orienter dans l'incertitude, mission impossible ? Rev. Questions d'orientation vol. 73, n°4, décembre 2010, pp. 55-60

Netchine S. (2007), direction d'ouvrage, Psychologie de l'éducation, 3 tomes, Bréal éditions (avec plusieurs contributions d'Annick Soubaï)