Chaque jour, un comprimé d'humanité
Par Jacques Vauloup le mardi 8 décembre 2020, 04:55 - Allo j'écoute... - Lien permanent
Il faudra inventer une piqûre spéciale, grommela-t-il. Ou des comprimés. On trouvera bien ça un jour. J'ai toujours été un gars confiant, moi. Je crois au progrès. On mettra sûrement en vente un jour des comprimés d'humanité. On en prendra un à jeun le matin dans un verre d'eau avant de fréquenter les autres. Alors, là, du coup, ça deviendra intéressant et on pourra même faire de la politique
, Les racines du ciel, Romain Gary (1914-1980)
Extraits. Le dialogique est un apprentissage permanent, Dialoguer est un mot trop répandu ; est-ce un apprentissage, un entraînement ou un don ? Et s’il y avait entre nous une inaptitude au dialogue ? Nous prononçons le mot, mais à condition de ne pas agir. La parole n’existe que dans le dialogue : une disponibilité ou non à l’autre. Rarement un dialogue à plusieurs est possible en même temps. Le réapprentissage du dialogue est la condition même du dialogue. L’incapacité au dialogue ne se voit pas elle-même en soi, mais chez l’autre – c’est toujours l’autre qui ne dialogue pas.
Partir de l’autre
Tenir l’entre
Ouvrir le soi
Partir de l’autre, reconnaître l’autre, sa différence. Tenir l’entre, explorer la résonance – qu’est-ce que ça me fait, ce qu’il est en train de me dire ? Et ouvrir le soi, travailler à ma présence. Nous avons un entraînement dialogique permanent, quotidien, à faire avec chaque personne. Dialoguer avec soi est la condition même de dialoguer avec l’autre. La parole n’est pas une opinion flottante, c’est un travail sur soi, un débat avec soi en permanence. L’exercice existentiel et l’entraînement continu au dialogue sur soi. Le dialogue n’existe pas en soi, il est un travail permanent.
Quid du devenir dans les pratiques ?
C’est d’abord l’écoute des silences des usagers citoyens et personnes humaines, l’écoute des situations des usagers par des praticiens qui portent la charge du contact direct avec les personnes et les souffrances. C’est le travail des pratiques, le soin de l’ordinaire unique, savoir marcher dans la gadoue… C’est aussi le changement de l’espace public : où parle-t-on d’orientation ? La médiacratie parle si peu d’orientation… Nous avons à créer un espace public de l’orientation, à faire comprendre la conception de l’orientation par tous, y compris les plus modestes. Il faut aussi (re)créer des conseils des usagers, dire ce qui va, ce qui ne va pas.
Enfin, l’intelligence du partage. C’est l’un des grands problèmes de la concrétisation du dialogique, l’intelligence du partage entre nous. Je trouve qu’on est trop chacun tout seul, ou en rivalité avec l’autre. Créer des réseaux de résistance, de réflexion, une approche plurielle des conseillers. Peut-on ouvrir un questionnement pratique sur tous ces points, imaginer des ouvertures, des percées pour que chacun ne soit pas tout seul ? Pour moi, il y a des silences qui hurlent. C’est comme si on n’avait rien appris, comme si on recommençait toujours les mêmes erreurs.
Diminuer l'inhumain en chacun de nous
L’essentiel, le primordial, le fondamental, c’est de ne pas empêcher l’autre d’exister, d’être humain. Souvenons-nous que la destruction des Juifs s’est faite dans la grande banalité. Cette mutuelle et primitive reconnaissance, ce banal allumé : comment être au plus proche des gens, et non pas une technicité de jargon. Le savoir n’est pas une propriété de quelques-uns, il est un partage essentiel. Le projet de devenir enfin des êtres humains, et non pas des animaux sauvages, met beaucoup de temps à devenir concret.
Ma blessure, ma profonde blessure pour nous, c’est que nous savons ce qu’il faudrait faire, ce qu’il faut faire, mais que ça ne se fera pas : c’est trop cher, le coût est trop élevé de s’occuper des hommes vivants. Quand on a un peu le recul de l’histoire, on voit le gâchis humain, et peut-être que ne pas s’occuper de l’orientation, ça coûte plus cher à une société que de s’en occuper quelque peu. Donc, la conscience du tragique est une nouvelle naissance à l’essentiel de nos vies, qui est d’humaniser l’inhumain.
L’espoir, la confiance de beaucoup de personnes en difficulté, sont altérés. Le secret de l’espérance, c’est le secret de la fraternité. Mais désespérer, c’est donner à notre impuissance la priorité sur les ressources cachées du réel. Le monde a plus de possibilités d’être que nous ne savons voir. L’espoir, c’est le refus de la résignation à la fatalité du malheur, la résilience dont parle Boris Cyrulnik. La majorité des hommes mène une vie de tranquille désespoir, car ce qu’on appelle résignation affermit le désespoir. Comment être optimiste, si ce mot a encore un sens après tant de famines, de massacres dans notre siècle et le siècle dernier ?
Chaque jour, un comprimé d'humanité
Pour
Rester humain
Redevenir humain
Ce petit comprimé a été modifié le 24 décembre 2020 puis le 31 janvier 2021
Oppert C. (2020), Le pansement Schubert, Denoël, 208 p.
Claire Oppert : La fin de vie, c'est encore la vie, France Inter, 31 janvier 2021