Aux yeux de nombreux jeunes, le monde apparaît désorienté, incertain, pétri de contradictions, en crise(s) (1), contraignant, oppressant.

À l'âge de 18 ans, 77% des jeunes Françaises et Français sont encore scolarisés ou en formation initiale, 52% à l’âge de 20 ans et 33% à 22 ans (2). Fuite en avant devant la difficulté de se diriger vers un métier et de s’engager ? Ou bien nécessaire construction identitaire lente et progressive avant de choisir en connaissance de cause ?

Prise de conscience que le parcours d’entrée dans la formation, le métier, la vie sera long et parsemé d’embûches et qu’il est inutile de s’y précipiter ? Ou bien construction lente et progressive des compétences, connaissances et capacités qui aideront le voyageur à rendre son voyage au long cours acceptable et engageant ?

Monde désorienté, jeunesse désorientée.

Monde saturant, jeunesse saturée (3)

Pourquoi réorienter l’orientation ?

Au moment où ils atteignent l’âge adulte, quatre jeunes sur cinq sont scolarisés ou en formation initiale. Aujourd’hui, plus que jamais dans le passé, il y a de l’orientation avant l’âge adulte. Une orientation initiale, distincte de l’orientation d’après, dite « tout au long de la vie » (4). Il ne s’agit pas ici de minimiser la difficulté récurrente des conseillers d’orientation-psychologues de l’Éducation nationale à effectuer leur lourde tâche avec des moyens déficitaires (5).

Nous ne sous-estimons pas davantage le rôle complémentaire indispensable – et rémunéré –, des professeurs. Nous savons également que les parents sont souvent démunis. Nous constatons en outre que, malgré la place grandissante et utile prise par les organisations professionnelles dans l’information sur les formations et les métiers, elle ne résout pas à elle seule les questions de l’orientation (6) et encore moins du tenir conseil (7).

Face aux pressions de l’information galopante, permanente, éphémère et au spectre du chômage qui hante les familles et les jeunes, nous devons réorienter l’orientation. L’entretien isolé ne suffit plus pour réduire le ressenti vécu le plus fréquemment par les jeunes et les adultes, qui est un sentiment d’absence de maîtrise sur quelque chose qui les dépasse, de dépossession et de culpabilité devant l’incapacité à s’en libérer.

Face aux contraintes et pressions économiques, face aux attentes multipliées d’un grand nombre de jeunes et d’adultes, il est temps, selon nous, de fonder plus complètement le champ des pratiques d’orientation.

Un nouvel espace public (8) ouvert à tous, à tout âge, de toute condition, est à inventer dans le souci de la construction d’une communication permanente, créative et dialogique.

Une orientation “ Made in France “ à pile ou face ?

Une orientation mécaniste, réductionniste, adéquationniste (côté face). Une orientation dialogique (côté pile).

Une orientation des clics (côté face). Une orientation déclic (côté pile).

Une orientation désincarnée, de remplissage, une logique de flux (côté face). Une orientation existentielle, une éducation de tous au devenir (côté pile).

Une orientation égotique, autistique, autarcique, du chacun-pour-soi (côté face). Une orientation éthique, altruiste (côté pile).

Une orientation oligarchique, anti-démocratique, anarchique (côté face). Une orientation démocratique (côté pile).

Une orientation cacophonique (côté face). Une orientation polyphonique (côté pile).

Ouvrir les niveaux d’interaction et d’intervention

Les niveaux d’interaction et d’intervention ne sauraient se contenter de l’entretien individuel isolé. La construction de leur orientation par les collégiens, lycéens, apprentis, étudiants, néo-salariés se fait à plusieurs niveaux, directement ou indirectement, et avec différents interlocuteurs : parents et parentèle, fratrie, cercle d’amis, professeurs, maîtres d’apprentissage, formateurs, tuteurs, professionnels de l’information ou du conseil, milieux professionnels, associations, médias, lectures diverses (auteurs classiques ou contemporains), enseignants-chercheurs (9).

Il nous faut élargir l’individuel, tenir compte de tous les niveaux de la communication humaine, inventer et construire de nouveaux modes d’intervention : tenir conseil à deux certes, mais aussi à trois, en petits groupes, en groupe élargi ; tenir conseil en présentiel et en distanciel (10).

Œuvre ouverte, continue, imaginative, créatrice.

Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ».

Les 7 urgences à réaliser

1. L’écoute continue des situations. La personne en situation, en contextes : spatio-temporel, symbolique, culturel, histoire de vie, contexte économique, croyances, parcours.

2. Penser les différents niveaux du collectif. Le groupe micro-société d’apprentissages. Les médias, associations, institutions. L’individu dans le collectif, le collectif jusqu’à l’individu.

3. Inventer un véritable conseil en ligne (10). Compléter ainsi l’information en ligne, omniprésente.

4. Développer l’entraide, la coopération, la solidarité. L’efficacité personnelle s’accroît d’un développement par les pairs. Apprendre à écouter, recevoir, questionner en groupes et ateliers.

5. Déployer une co-formation continue des acteurs et une évaluation-conseil à la hauteur des enjeux. Liens et transferts à renforcer avec les enseignements et la recherche universitaires.

6. Développer chez l’individu le sens de la construction temporelle. Faire face aux pressions incessantes et aux pseudo-urgences.

7. Construire et revivifier en permanence son imaginaire. Développer la créativité, en travaux individuels et collectifs.

L’instant d’un sens

Dans l’agir

Ouverture d’avenir

L’écoute ouverte

Nouvelle naissance

D’un sens inépuisable

Ceci n’est qu’un commencement.

Chacun y a sa part de créativité, à chacun de réagir.

Oeuvre publique, ouverte, imaginative.

Le travail individuel et collectif du Tenir conseil n’en est qu’à ses débuts.

N'hésitez pas à nous faire part de vos réactions, objections, propositions ci-dessous dans la partie "Ajouter un commentaire" ou encore en écrivant à : reorienter.lorientation@gmail.com (11) ■

par Alexandre Lhotellier et Jacques Vauloup

Les auteurs

Alexandre Lhotellier est notamment l’auteur de l’ouvrage ''Tenir conseil, délibérer pour agir'', éd. Seli Arslan, 2001. Consulter l’intégralité de la vidéo de la conférence ''Tenir conseil, du déni au défi, quel devenir ?'' qu’il donna le 24 septembre 2010, ACOP-France, Le Mans.

Jacques Vauloup est inspecteur de l’éducation nationale chargé d’information, d’orientation. Parmi ses productions : Guide des néo-psy, 10ème édition, juin 2017 ; Une orientation scolaire a-t-elle un sens ? J. Vauloup, coord. d'ouvrage, EduSarthe, juin 2009] Coord. d’ouvrage, ÉduSarthe, juin 2009

Notes

1. Revault d’Allonnes M. (2012), La crise sans fin, Seuil, 2012, 196 p.

2. Source : Repères et références statistiques, Ministère de l’éducation nationale, éd. 2012.

3. Gergen K.-J. (2007), ''Le soi saturé'', éditions Satas, 377 p.

4. Source : Loi n°2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à L’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

5. En moyenne, en France, 1 conseiller d’orientation-psychologue pour près de 3 établissements publics du second degré. En ruralité, cette moyenne est dépassée du fait de la petitesse des effectifs des établissements et de leur dispersion. Le contribuable serait aussi en droit de s’interroger sur l’absence de présence du service public d’orientation auprès des établissements privés sous contrat avec l’État.

6. Tanguy L. (1986), coord., ''L’introuvable relation formation-emploi'', La Documentation française, 302 p.

7. Tenir conseil – qui n’est pas donner des conseils – peut être nécessaire pour la conduite d’une vie en situation difficile ou à des moments délicats à négocier : s’approprier de l’information, construire la connaissance, fonder des décisions responsables, favoriser le travail interdisciplinaire, développer les rapports multiculturels, accompagner les changements, créer et innover, donner sens à nos actions, s’entendre et s’organiser à distance, élaborer des projets, mettre en place une véritable insertion.

8. Guichard J. (2010), ''Service public, choisir l’État ou la société civile'', ACOP-France, Le Mans, 24 septembre 2010.

9. Nous ne pouvons que regretter la faiblesse rédhibitoire de l’appropriation des riches résultats de la recherche en sciences humaines et sociales par le commun des mortels. On stigmatise la psychologie, la sociologie, les sciences de l’éducation, les sciences humaines et sociales dans leur soi-disant « improductivité », et on oublie la qualité de leurs apports pour faire sens, pour faire société.

10. Un véritable conseil en ligne est à inventer, différent et complémentaire des informations données par Mon orientation en ligne. Les psychologues sont eux aussi soumis aux évolutions sociétales, techniques, professionnelles, éthiques et anthropologiques posées par la généralisation de l’Internet. En témoignent les sources suivantes : (a) Conseil et orientation sur Internet, quels enjeux et quelles pratiques pour les conseillers d’orientation-psychologues ? Cité des sciences et de l’industrie, Paris-La Villette, octobre 2006 ; (b) Des psychologues sur Internet ? Le Journal des psychologues, n°301, octobre 2012 ; (c) À l’ère d’Internet, quel conseil en orientation ? Blog Propos orientés, 13 juillet 2012

11. Ce billet est également consultable en versions allégée et complète dans le n°504 de la revue Cahiers pédagogiques, mars-avril 2013, sur le thème ''Le sens de l'orientation''.