Peine de vélo volé
Par Jacques Vauloup le lundi 17 août 2020, 04:54 - Cinépassion - Lien permanent
Guei, seize ans, quitte sa campagne natale pour aller travailler à Beijing (Pékin) chez un coursier. Son employeur lui prête un superbe VTT dont il ne sera propriétaire que lorsqu'il aura gagné la somme de 600 yuans, 50% de son salaire. Guei a presque réuni l'argent quand le vélo est volé par un étudiant qui l'a acheté aux puces avec l'argent destiné aux études de sa petite soeur...
Tableau saisissant de la Chine urbaine de la fin des années 90. On voit déjà combien, en tout juste 20 ans (le film a été tourné à la fin des années 90), Pékin a muté, s'est complètement transformée, s'est automobilisée
, grattecielisée
. Condamné désormais à la portion congrue et au magasin des accessoires, le vélo est devenu le symbole de l'archaïsme du monde d'avant et un frein au développement de la ville et de la puissance économique chinoise, alors qu'il aura été longtemps le mode majeur de déplacement, un gagne-pain essentiel et, plus encore, toute une civilisation qui a foutu-le-camp.
Peinture bouleversante, poignante, pathétique de tous ces jeunes travailleurs précarisés des deux ou trois roues, en Asie ou en Europe, désorientés, contraints à s'exiler à l'intérieur de leur pays ou plus loin, venus d'une civilisation plus rurale, autant dire une autre civilisation désormais déstructurée, éclatée : taxis en rickshaws (Inde) ou tuk-tuk (Thaïlande), livreurs de plis, pizzas et plats préparés des villes européennes ou asiatiques... Travailleurs de l'ombre, nomades, déplacés, au salaire, au statut et aux conditions de vie misérables. Loin des winners
du struggle for life
aux métiers, statuts, conditions de vie et salaires protégés...
En résonance avec le Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica, le cinéma de Wang Xiashuai, sous son apparente simplicité, nous livre une fable émouvante qui ouvre à des interprétations multiples : psychologiques (parcours de vie), sociologiques, sécuritaires (dangers de la grande ville), culturelles, politiques (regard pour le moins critique voire désespéré sur la Chine contemporaine désormais vouée au culte de l'argent et au mythe du progrès).